Je viens d’une ville de confluence. Une cité au pied de laquelle les eaux se mêlent, chahutent et ondulent. J’ai vécu au rythme des marées. J’ai cru parfois entendre cet océan gronder au loin, au bout de l’estuaire. J’ai patienté chaque année jusqu’à l’automne. L’automne et la lune nouvelle. J’ai épié l’arrivée de l’onde. Comme certains ont attendu la vague. Et j’ai toujours admiré le surgissement du mascaret.

Puis, j’ai quitté les rives vaseuses, mollement brassées, pour pousser jusqu’à l’embouchure enchanteresse. J’ai surnagé, parmi les objets errants et les néfastes courants. J’ai tenté de passer à travers le filet. Mais les mailles de la vie sont fines. Et je me suis laissé prendre. J’ai regardé passer le bois flotté, sans tenter de le suivre. Je suis resté dans l’enclos de mon quotidien.

Aujourd’hui, je reviens dans le courant. Je me laisse emporter, volontaire. Honnie, la baïne m’attire dans son piège. Je suis de nouveau cet estuaire, au gré de l’eau. Je surplombe l’agitation saumâtre. Je suis un carrelet campé sur ses pilotis. J’observe le Médoc qui nous toise depuis l’autre rive. Toute une Gironde nous sépare. Tout un monde. Les falaises calcaires au sommet desquelles je roule ont cessé de pâlir, trop longtemps intimidées par les vignes des grands vins de Bordeaux. Elles affirment leur caractère, bombant leurs altitudes de craie face à la marée. Elles dressent leurs pentes impétueuses sur les premiers kilomètres de ma transhumance.

Chaque étape est allitération. Allitération en -Gironde. Saint-Ciers, Saint-Bonnet, Saint-Fort, Montagne, Talmont puis Meschers. Tous les villages trempent dans l’affaire. Et dans l’estuaire. Avant de déboucher finalement sur le front reconstruit de Royan. Et de voir l’horizon se dégager. L’océan venant à poindre. C’est à peine si le Verdon et la découpe de ses installations portuaires viennent me distraire de ce panorama soudainement atlantique. Le bac, traîne-couillant les voyageurs qui ont renoncé à contourné l’estuaire, semble s’évertuer à bloquer l’embouchure. Un ballet sans fin. Vain.

Et puis le sauvage. La côte éponyme. La forêt baignée de senteurs. Le parfum des pins et l’effluve de ma sueur. L’onde est marine. Elle est terrestre. Les bosses se succèdent comme autant de bourrelets sur le flanc de cette opulente Charente-Maritime. Les braves ont marqué le sol de leur empreinte. « MG ». Meilleur Grimpeur. Des pois rougeoyant sur le maillot. À quelques mètres des méduses scintillant dans les retenues d’eau.

Aux -Gironde succèdent les -Bains. Quelques -Mer sporadiques. Et les -Charente sont au pouvoir. Les panneaux de changer. Les terres de s’assécher. Et les marais de nous entourer. Nos roues ont déjà perdu le goût des algues. Elles s’ébrouent en lisière des champs de salicorne. Rien ne semble devoir troubler le calme du bétail paissant les pieds dans la terre mollie. Ni le tumulte de notre passage cycliste. Ni l’agitation des touristes dans la cité murée de Brouage. Nous sommes aux confins. Arrivons à nos fins.