C’était une ville impraticable, toute en pentes, dévers et raidillons. La partie basse, dans le coude du fleuve, aucun cycliste n’en était jamais remonté et les nouveaux venus, dont j’étais, apprenaient vite à ne jamais s’y aventurer. « Le plateau », comme les habitants se plaisaient à désigner la partie haute, était un faux plat bosselé et tortueux, où l’incurie politique avait patiemment accentué les malignités retorses de la topographie. Tout semblait avoir été ainsi fait pour empêcher la pratique du vélo : un réseau cyclable famélique, des petits commerçants irascibles, une sollicitude automobile jamais mise en défaut. Les sympathisants de la cause vélocipédique, dont j’étais encore, n’avaient d’autre choix que de ronger leur frein et d’aller à pied.

C’était du moins ma conviction jusqu’à ce que Mathilde s’installe chez nous. Jeune et pimpante, elle ne connaissait rien des penchants de la ville et de l’inclination de ses gens à ne surtout rien bouger. Passés quelques premiers jours à tâter le terrain, elle se mit rapidement en tête de dérouiller les habitudes et les vélos remisés, en proposant des ateliers de réparation collaboratifs, participatifs et revendicatifs. Elle s’engagea bille en tête, sollicitant amis, collègues, réseaux, édiles… et elle concentra avec une réussite certaine autour de ces ateliers une masse critique de cyclistes jusqu’alors en sommeil. La vélorution était en marche, portée avec fraîcheur et enthousiasme par cette passionaria à peine emménagée.

J’avais assisté à ce printemps cycliste avec une admiration coupable. Je m’en rendais péniblement compte, l’activisme de Mathilde contrastait de façon éclatante avec mon acceptation résignée de ma piétonne condition. L’aveu m’en coûtait mais je n’étais manifestement pas de ces militants qui, à défaut de pouvoir déplacer les montagnes, avaient suffisamment de foi et d’énergie pour tenter au moins d’en abaisser les cols.

Le vélo sert aussi à ces leçons.

Philippe Guerry s’est illustré à plusieurs reprises sur Gravillon, attirant la passion cycliste sur d’autres terrains. Sur quelques plages, à la poursuite d’un coureur de plomb. Au détour de quelques pages, en quête d’auteurs de talent. Il propose aujourd’hui « Engagement », le troisième texte de la série de chroniques « C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas » consacrées au vélo. Un élan rédactionnel dans la droite ligne des Bonheur Portatif et Au Petit Commerce dont il est le créateur.