Le vélo est à la mode, très bien. De jeunes et moins jeunes gens lui vouent un culte sympathique. Pourquoi pas. J’ai moi-même de pleines sacoches de bons amis qui se sont mis en tête de célébrer une certaine idée du chic cycliste, une pratique orthodoxe du vélo distingué. Allons bon. Non contents de pédaler en bande, de dimancher ensemble mollets et pré-bedaines, ils font maintenant des commandes groupées de petits jerseys de coton coordonnés. Discutent qualité de coupe et élégance des motifs.

De bons amis.

Misère.

Souvent, j’ai peur qu’il soit trop tard pour les arrêter. Trop tard pour stopper les cotonneries. Trop tard pour les ramener à la raison.  Ils sont partis trop loin. Ils vont déjà trop vite. On ne peut plus avec eux évoquer aucune idée de promenade. Seules comptent désormais les « sorties ». Ils pédalent de leur plein gré par temps de pluie. Ils sourient vent de face dans une sorte de grâce expectative. Leurs mollets écorchés et sanguinolents sont adorés comme autant de stigmates de leur dévotion sportive. Crever leur importe peu. J’ai peur qu’ils soient dans une secte.

C’est un point qu’on ne discute plus que le culte contemporain du vélo s’honore dans de multiples et irréconciliables chapelles. Parlez porte-bagage à un pignon fixe et il vous tue. Parlez cale-pied à un vélo électrique et vous n’existez plus.

Autant le dire tout de go, je m’en fous du vélo. J’en ai, j’en fais et c’est très bien ainsi. Ça me déplace mais ça me transporte peu, ça me sort mais ça m’aère à peine. J’entretiens un rapport très utilitaire au vélo : emmène-moi du point A au point B ; garde tes roues gonflées ; ne te fais pas voler. Le cyclisme m’ennuie, les cyclistes m’indiffèrent. Je tiens à distance méfiante tous les thuriféraires. Ceux qui les louent, ceux qui les prient, ceux qui les chantent.

Je suis un cycliste sans âme ni distinction.

Philippe Guerry s’est illustré à plusieurs reprises sur Gravillon, attirant la passion cycliste sur d’autres terrains. Sur quelques plages, à la poursuite d’un coureur de plomb. Au détour de quelques pages, en quête d’auteurs de talent. Il propose aujourd’hui « Distinction », le cinquième texte de la série de chroniques « C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas » consacrées au vélo. Un élan rédactionnel dans la droite ligne des Bonheur Portatif et Au Petit Commerce dont il est le créateur.