S’éloigner du littoral et délaisser cette Odyssée qui veine le bord de l’Atlantique. Laisser le sable courir sur les dunes et prendre la terre à pleines mains. S’engouffrer dans les territoires intérieurs et plonger dans les premiers frimas. Telle était l’envie de cette sortie automnale sur la Vélo Francette. Un départ aux premières heures du jour et une nature qui goûte aux premières gelées. Du bétail, l’œil bovin, pataugeant dans les prés longeant la Sèvre Niortaise, les pattes prises dans cette boue basse température. Les arbres commençant à rougir aux premiers coups de reins de l’hiver.

Cette voie cyclable qui relie La Rochelle à Caen suit les berges. Les lacets de la Sèvre sont autant de méandres que le vélo aime envelopper. L’eau semble vouloir s’échapper de son cours. La brume forme un épais tapis qui recouvre chemins, champs et mares. Les craquements qui retentissent au passage du vélo font hésiter entre glace pilée et caillasse concassée. Plus hostile, la météo a vidé l’itinéraire du cortège des familles et amis qui arpentent aux beaux jours, sacoches chargées, ce tracé renommé.

Comme une falaise qui tarderait à se dresser, les premières dizaines de kilomètres qui éloignent de l’océan sont autant de faux plats. Les poumons brûlent alors que l’effort commence à peine. Sans doute, le corps trop longtemps confit dans la paresse et la chaleur de l’été est-il surpris par ces températures péniblement positives. Le compteur peine à accumuler les kilomètres. D’autant que le vent de NE prend un malin plaisir à souffler directement dans les cintre et naseaux.

Mais le plaisir est ailleurs. Il est dans l’acier de ce gravel. Il est dans le bonheur de surprendre la nature au réveil. Il est dans le souvenir d’un récent édito d’Alain Puiseux dans le magazine 200 qui détaille tous les combats du Front de Libération de Soi-Même : le droit de se foutre de la moyenne, le droit de s’arrêter souvent, le droit d’avoir envie de rouler seul ou encore le droit de reprendre un café.

Régulièrement, le chemin vient croiser le fer avec le flot. Ponts de pierres anciennes et passerelles de métal rouillé se succèdent. On surplombe l’onde et découvre des ombres et reflets inédits. Les feuilles rougies par l’automne embrasent l’eau. Les arbres s’admirent de haut et laissent leurs branches se pâmer du spectacle de leurs souples mouvements. Ils toisent les talus qui n’ont pas eu la verdeur de s’élever.

Parthenay est l’occasion de retrouver l’humain, son odeur de gazole et les effluves de son marché à bestiaux. Pavés, colombages et pierres viennent rompre avec le spectacle du chemin blanc. Au sortir de cette effusion médiévale, la nature reprend vite ses droits. La Sèvre laissée en chemin, le Cébron vient affluer le long de la route, se répandant allègrement dans un lac éponyme. Il est le timide ruissellement qui vient irriguer le Thouet, le compagnon de toute la fin du voyage.

Les encablures n’en finissent pas de durer. Et le ravitaillement de commencer à manquer. Rares sont les commerces ou cafés croisés sur cette portion aux confins des Deux-Sèvres. Quand, enfin, Airvault vient pointer sur la carte. Aux abords de la halle, que le marché a animé il y a quelques heures, l’enseigne d’une boulangerie clignote comment autant de stimuli. Salé, sucré, gazéifié, tout vient rejoindre ventre et sacoche. Un coup de fouet salvateur pour retrouver la route face au vent.

La romance avec le Thouet commence à cet instant. Après avoir franchi les murs de pavés dressés dans les ruelles de Thouars. Après s’être recroquevillé sous l’impressionnant pont de chemin de fer qui se déploie à toute hauteur à la sortie de la ville. Calme, le cours de la rivière vit au rythme de la région. Les spasmes de la ville n’atteignent pas ces contrées et son débit reste modéré. Il laisse le temps aux lentilles de garnir cette chaudrée. Le vert est intégral. Il emplit la cime des arbres. Il colore la surface de l’eau. Il est la toile de fond des prés dans lesquels les agneaux nouvellement nés créent l’animation. Il est le sillon d’herbe qui montre le chemin.

Et quand ce chemin vient à foncer. Que les cailloux blancs s’estompent au profit d’un relent de bitume. Les gravillons prennent le pouvoir. Ils animent le passage des roues. Libres de circuler, de s’étaler, ils ne se plient à aucun suprématie. Qu’elle soit automobile ou agricole.

Et quand vient le terme, après plus de 160 kilomètres de chemins grisants et vents mauvais, les mains se réjouissent de retrouver chaleur et verre d’apéritif. Nez et phalanges, engourdis par la bourrasque, regagnent en agilité. Une journée à malmener acier et mollets. À défier le nord pour ne pas se perdre en chemin. À suivre le cours. De l’onde et de sa vie.

De bon matin avec Francette sur Strava