Partir de la mer et s’enfoncer dans les terres.
Quitter une région plate et atone pour rejoindre une contrée emplie de rondeurs et de musiques. Inviter ma cassette 11-32 à se faire les dents sur le bitume.

Périgord 19

L’idée est de voir si les 330 kilomètres accumulés lors de la Race Across France, après 15 jours de repos, plombent encore mes jambes. Si tous les efforts consentis entre Mandelieu-La-Napoule et le Mont Ventoux ont laissé quelques traces.

Périgord 19

Mon allure matinale, sur la fière monture que j’enfourche, s’engaillardit d’un inattendu crachin, salvateur entre tous. Des amis tourangeaux m’ont fait veiller tard tandis que j’accompagnais leurs débats au son des verres sur le zinc. Je roule vers le sud de la Charente-Maritime pour atteindre le cognaçais, traverse ses vignes classées, rangées, renommées. Grand plateau, petit plateau puis à nouveau grand plateau. Le relief du grand Sud-ouest dévoile ses facettes multiples.

Périgord 19

Je sens déjà le parfum de l’intérieur, les contrées angoumoisines qui m’entraînent vers ce Périgord verdoyant, dissimulant l’âpreté rocailleuse de ses premiers contreforts. À mi-chemin, la colline fortifiée sur laquelle s’érige Villebois Lavalette fait office d’étape. Le restaurant vient de fermer sa cuisine. Je n’y trouve qu’un rafraichissement citronné servi par une anglaise appliquée. Finalement réhydraté, je file à bon rythme vers la frontière de la Charente et de la Dordogne.

Périgord 19

Les villages se suivent et se ressemblent. Les devantures défraîchies, les peintures écaillées et des pancartes « A Vendre » sur les façades. La désertification rurale fait son œuvre. Les commerces de bouche et de soif sont portes closes. La presse du monde n’a plus son bureau, les fumées de tabac se sont volatilisées, le courrier ne tient qu’à un mince fil.

Périgord 19

La faim persiste et les bidons se vident. La route est longue et l’arrivée risque d’être nocturne. Je ne croise que de très rares adeptes de la petite reine sur mon trajet ; des gens du coin, sûrement ! Les premiers passages montagneux nichés dans de denses massifs forestiers affichent un niveau de difficulté qui éprouve immédiatement des mollets raidis par les kilomètres. Les arbres dévoilent leurs plus belles essences, des châtaigniers, des chênes verts, des noisetiers et des noyers dont les fruits à coques, encore verts, ne me sustenteront pas cette fois-ci. 

Périgord 19

Profitant de l’accalmie d’une plaine, des montgolfières colorées décollent du sol. Le spectacle d’un coucher de soleil dans la vallée, où coule la Dordogne rejointe par la Vézère, est éclatant. L’artificier des cieux est roi. Pour ma part, après avoir brillé d’un vif éclat, je peine sur les dernières pentes menant au point de ralliement convenu avec mon hôte.

Périgord 19

La nuit m’entoure, la fraîcheur m’enrobe, les derniers efforts accentuent les crampes naissantes. Au dernier « sommet » de la journée, la pleine lune surgit et m’accompagne dans une dangereuse dernière descente vers Limeuil. Parmi les faisceaux jaunes de vieux lampadaires, je vois deux bras se lever vers les étoiles et tel un satellite fatigué, à bout de course, désorienté, je viens racler contre le sol. Le cycliste est las. Mais les premières gorgées de bière le détournent peu à peu de la douleur ressentie dans les cuisses. La portière d’une voiture s’ouvre devant mes yeux hagards. M’allonger. Dormir.