Sur le Giro 1949 n’est pas le simple récit d’une course dans l’Italie d’après-guerre. Il est la somme des émotions ressenties par l’écrivain Dino Buzzati à la découverte du sport cycliste. Envoyé par le Corriere della Sera pour suivre un Giro d’Italia 49 qui sera marqué par le duel de Fausto Coppi et Gino Bartali, les deux légendes transalpines, il apporte un éclairage unique sur la vie du peloton et met en évidence, au fil des pages, des instants insolites. Éric Fottorino, dans la préface de cette nouvelle édition proposée par So Lonely, ne peut que s’enthousiasmer : « Le cyclisme, le journalisme pratiqué par un écrivain, et quel écrivain ! La machine à rêve pouvait tourner à plein régime… »
On retrouve dans les écrits de Dino Buzzati, consignés quotidiennement, la spontanéité dont nous gratifiera quelques années plus tard « notre » Antoine Blondin dans ses chroniques consacrées la Grande Boucle et publiées dans L’Équipe (rassemblées dernièrement dans le formidable Tours de France). Les héros du peloton, qu’ils s’illustrent en tête ou besognent en queue, sont portés aux nues, affirmant leur force ou dévoilant leurs faiblesses, le visage marqué par la souffrance. Buzzati porte un regard de néophyte, décrivant avec spontanéité et enthousiasme les (hauts) faits de course et le geste cycliste. Il se révèle pourtant expert en matière de description, louant l’ingéniosité technique et sublimant le galbe du mollet.

« La bicyclette a deux roues, l’une qui l’oriente, l’autre qui la fait se mouvoir ; l’une obéit au cerveau lorsqu’il faut décider si l’on va à gauche ou à droite, l’autre obéit aux jambes, nos jambes de professionnels : lorsqu’on les touche, on s’écrit : « Mais c’est du bois, ça ! » Et pour chacune de ces jambes, il y a une pédale.
Les pédales. Voilà le calvaire. Jamais, au grand jamais, elles ne seront contentes : quand l’une est en haut, sa jumelle est en bas et chacune veut toujours imiter l’autre ; elles continuent de la sorte à se courir derrière et ne se rejoignent jamais, au grand jamais. Et pourtant, qui aurait le courage de refuser ? Quand l’une est en haut, nous la poussons vers le bas, puis c’est le tour de l’autre, sinon ce serait une injustice. Et les pédales entraînent le plateau, le plateau entraîne la chaîne, la chaîne entraîne le pignon, le pignon entraîne la roue et la roue nous entraîne, nous, et c’est ainsi qu’on avance, qu’on avance.
Les jambes ! Voilà le grand problème ! Certains les ont dures et noueuses, d’autres longues et fuselées à l’instar des ballerines ; l’un a des cuisses de porc, l’autre des cuisses d’échassier, mais elles sont toutes magnifiques, et fortes, et courageuses, et obéissantes. Nos pauvres jambes ! Misérables, esclaves, couvertes de bleus, velues, susceptibles et fatiguées, elles conduisent, conduisent cette petite machine que l’on appelle vulgairement la
vie. »

Sur le Giro 1949, Dino Buzzati, So Lonely, 2017

> Dino Buzzati (1906-1972) est un journaliste et écrivain italien. Il publie en 1940 Le Désert des Tartares qui le hisse au rang des auteurs célèbres. En 1949, il est correspondant du Corriere della Sera sur le Giro et délivre un récit unique de la course publié une première fois en France par les Éditions Robert Laffont en 1984 et une deuxième fois, en 2017, par la maison d’édition du magazine Pédale !