Panne sèche

Après plusieurs décennies de règne sans partage, l’épopée de la voiture a du plomb dans l’aile. Le « tout automobile » s’effrite au rythme de la baisse des rendements pétroliers, entraînant dans sa chute des pans entiers de l’économie (fabricants, sous-traitants et économie périphérique). L’industrie automobile a généré, en échange d’une consommation excessive, des emplois en masse et de la croissance. La France, deuxième producteur européen de voiture, voit, au fil des années, la contribution de la part automobile dans la croissance du PIB diminuer depuis 2005(1). Le système capitaliste basé, sur une croissance sans fin, ne prévoit pas dans son schéma que nous puissions moins consommer puisqu’il fonctionne dans la recherche du profit constant. Dans les année 1980, face à la surproduction en tant que soutient de la croissance, André Gorz développe le concept de « croissance destructrice » et de « décroissance productive », faisant de cette dernière une nécessité vitale pour nos sociétés.

« La décroissance est donc un impératif de survie. Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie, une autre civilisation, d’autres rapports sociaux. En leur absence, l’effondrement ne pourrait être évité qu’à force de restrictions, rationnements, allocations autoritaires de ressources caractéristiques d’une économie de guerre. La sortie du capitalisme aura donc lieu d’une façon ou d’une autre, civilisée ou barbare. La question porte seulement sur la forme que cette sortie prendra et sur la cadence à laquelle elle va s’opérer. »(2).

Les licenciements en masse, chez Renault, P.S.A, Général Motors, Goodyear etc. montrent bien les choix que la société opère  en marginalisant ceux jugés comme moins productifs. On pourra toujours reprocher à l’économie française son manque d’adaptation, de réactivité et l’archaïsme du monde syndicale, pour autant, ceux qui subissent l’écartement du marché du travail n’ont pas dirigé les choix de ce pourquoi ils en sont là. Le travailleur est aliéné dans un système économique qui le domine. Aveuglés par la croissance sans fin, les Etats n’ont proposé aucune alternative, ni expérimentation sociale et économique  qui permettraient aujourd’hui d’explorer des formes nouvelles de productions. Les dirigeants sont devenus schizophrènes. Ils soutiennent d’un coté la production automobile (prime à la casse) pour des raisons socio-économiques et de l’autre côté, ils veulent réduire la pollution (grenelle de l’environnement) pour des raisons écolos-électoralistes.

Le vélo, une utopie du possible

L’écologie n’est pas cette idée simpliste servi par les médias et les représentants actuelles de l’écologie. Ils fondent l’écologie sur un discours composé d’angoisse et de prédiction d’un futur cataclysmique. Le plus souvent, ils restent dans la recherche de la préservation, à moindre mal, de la logique productiviste. L’écologie pensée par Gorz, Illich, ou encore Guattari propose, d’une part, de soumettre la vie économique à nos besoins réels, d’autre part, de décider ce qui doit être rentable et ce qui n’a intrinsèquement pas cette fonction. L’idée sous jacente est la réappropriation de nos vies — c’est-à-dire de la désaliénation du système dans lequel nous vivons et le changement radical de paradigmes.

Aux Etats-Unis, dès les années 50, devant l’explosion d’un urbanisme dicté par l’automobile, se sont mis en places des groupes contestataires et « conservationnistes » qui revendiquaient déjà une  réapropriation  des espaces publics. Les temps étaient à l’opulence et l’on se souciait peu de l’énergie alors abondante et bon marché. En 1973, la crise pétrolière a plongé le monde dans des crises cycliques de plus en plus persistantes. Aujourd’hui, face à la crise écononomique, énergétique, écologique, le vélo est revenu petit à petit dans nos préoccupations. Il est un outil simple, pas cher, non polluant et relativement efficace en terme de ratio énergie / vitesse / distance (3). Sa technique rudimentaire en fait un outil simple dont nous pouvons assumer l’entretien  sans aide extérieure, sans se faire dominer par sa technologie. Il concentre un ensemble de qualités assez rares sans équivalent dans les modes de transport. La conjugaison de ces facteurs en fait pour certains le mode de transport du futur. A travers le monde, le mouvement Critical Mass — qui agrège divers mouvements cyclistes —, revendique la pleine réappropriation de l’espace public par le vélo. On peut s’amuser de ses mouvements radicaux, folkloriques, écolos-bobos, mais nous les savons détenteurs d’une part de la réalité et de nos choix de demain. Revendiquer le vélo comme moyen de transport unique dans les villes remet gravement en question les fondements du tissus économique tels que le tourisme,  les trajets transport-travail, la grande distribution etc. La « vélorution » est en marche et d’autres encore, ne manifestent pas, mais ont déjà adopté la bicyclette pour « vélotafer« . De mauvaise ou de bonne grâce, les municipalités participent au mouvement et  développent, dans le sillage du Vélib parisien, le vélo partage ou disons-le pour rire et pour en terminer : le Kolkoze vélocypédique.

Quelle que soit l’avenir, le dernier baril de pétrole consommé, il faudra bien inventer de nouveaux champs du possible et plus particulièrement dans nos modes de transports. Ceci, on le sait, aura des implications dans l’ensemble de nos habitudes actuelles. Prédisons, à coup sûr, un bon coup de rétropédalage  !

Notes :
(1) Tresor Eco n°43,  septembre 2008, source INSEE.
(2) La décroissance est un impératif de survie, André Gorz 17 septembre 2007, in la revue EcoRev n°28
(3)Ivan Illich, La Convivialité, Seuil, 1973

En savoir plus :
Live Bicyle : Capitolo Uno, documentaire sur la Critical Mass, Rome 2006
Sur le mouvement « cyclo-écologiste » : Le mouvement « cyclo-écologiste », Benoit Lambert, in Etat de la planète, mars avril 2003