Le lendemain, des blessures se réveillent. Romanus Contus fait face à un mal de dos et doit déclarer forfait pour le reste de la campagne. Cette force de la nature paie de glorieuses années données à l’ovalie. Dans un moindre mal, Librarius, encore abattu par la dureté du parcours de la veille, décide de recharger les batteries pour revenir dans le cœur du sujet la dernière journée.
Les efforts physiques déployés la veille tétanisent encore le geste mais une fois la première côte gravie, les manivelles tournent mieux.
Il semble que cette étape soit une transition avec quelques passages accidentés, mais sans grande difficulté. J’ai même l’impression de ne pas forcer. Sauf que… — parce qu’il y a toujours une surprise au bout du chemin blanc — c’était sans compter sur ce que l’on peut appeler la chute du Peyrazet. Les premiers mètres sont cabossés, irréguliers. La pente modérée n’implique pas de vigilance particulière et puis tout change. Je réalise que la descente est soudainement plongeante, que la piste blanche et damée devient une cascade sèche encombrée de branches, matelassée de cailloux, parsemée de ravines rocailleuses.
Je ne décèle aucun échappatoire possible sur les bordures habituellement plus roulantes. Tant bien que mal, je tente des freinages espacés pour ralentir ma vitesse qui s’accroît mais je m’aperçois vite que c’est finalement trop risqué. Mes pneus chassent sur les pierres qui roulent, j’évite le pire tous les dix mètres, mon élan, malgré moi, me fait doubler tous les autres qui ont opté pour une vitesse moindre. J’entends les cailloux taper sur le cadre et un grand « clac » assourdissant me fait penser à une roue qui casse. Il n’en est rien, je continue de plonger à vive allure, les jambes tendues, les cuisses durcies de nervosité, le regard concentré sur un éventuel piège au sol. Je n’arrive plus à définir si je maîtrise ou si je suis à la limite du contrôle du vélo. Je crois que je descends gonflé à l’adrénaline et effrayé par les sensations qu’elle procure. Je n’en mène pas large et je suis heureux de retrouver la banalité du bitume.
La départementale D43, en balcon vers Gluges, nous permet de reprendre nos esprits après cet épisode chaotique, son intensité et le désordre qu’il aurait pu causer. En cohorte rangée et disciplinée, nous rejoignons l’église de Floirac où le [Bicicleta] ravito de l’étape comblera nos estomacs creusés par les émotions. Octavius retrouve de la famille de la région qui le comble en victuailles et boissons. Commodus répète à l’envi qu’il ne mangera pas de tartines de rillettes. Maximus et Quintus ne l’écoute pas et s’en délecte de quelques-unes. Et comme par hasard, après chaque ravito, nos hôtes nous ravissent d’une montée à digestion rapide. 1,5 km à 8% de moyenne, avec un passage à 12%… en plein soleil. Il ne fallait pas oublier de remplir ses bidons !
Remercions-les aussi de ces belles descentes vers Carennac qui font retomber la température corporelle et retrouver la fraîcheur de la Dordogne qui coule au pied du château des Doyens. La chaleur puise dans nos réserves et l’ombre de quelques feuillages est la bienvenue quand nous attaquons l’antépénultième côte la journée.
Avec Quintus, nous filons en éclaireurs assoiffés, ignorant les sols truffiers. Une dynamique est relancée, comme deux cyclistes vieillissant, encore ingambes, jusqu’à la fatidique crevaison à 3 km de l’arrivée. On ne laisse pas un fantassin en rase campagne, les bêtes du Lot peuvent être sauvages… et les copains encore plus moqueurs.
La réparation effectuée, et le gosier encore plus sec, la pente légère vers la Bicicleta finalise en douceur cette étape moins épuisante que la précédente. Librarius, reposé, nous attend, heureux et conquis par son marché de campagne. Nous aussi. Le saucisson qu’il a trouvé est délicieux et justement accompagné d’un vin approprié. La soirée ne fait que commencer mais ne devra pas tarder car la troisième journée est une histoire d’amour dans des grottes. Un sprint final peut être, il faut garder du jus.