Le tourment vécu par Paris au cours des dernières mois a fait surgir des élans, des solidarités et des optimismes nouveaux face à la violence et à l’intolérance. Il a également fait ressurgir Paris est une fête, œuvre d’Ernest Hemingway publiée en 1964 qui célèbre la beauté de la Capitale. Basé sur les notes consignées par l’auteur américain à la fin des années 20, cet ouvrage témoigne des premières années de l’écrivain désargenté à Paris. Il rapporte, au détour de quelques pages, l’engouement qu’Hemingway va ressentir au spectacle de la course cycliste, en particulier dans le cadre clos et enthousiasmant des vélodromes.

« J’ai commencé à écrire beaucoup de récits sur les courses cyclistes, mais je n’ai jamais rien écrit d’aussi intéressant que les courses elles-mêmes, sur piste, couverte ou non, et sur route. Mais j’évoquerai le Vélodrome d’Hiver, dans la lumière fumeuse de l’après-midi, et les pistes de bois très relevées et le crissement des pneus sur le bois, au passage des coureurs, l’effort et la tactique de chaque coureur grimpant et plongeant alternativement dans les virages, chacun faisant corps avec sa machine ; j’évoquerai la magie du demi-fond, le bruit des motos avec leurs rouleaux, montées par les entraîneurs, coiffés du casque pesant, contre les chutes, cambrés en arrière dans leurs lourdes combinaisons de cuir pour mieux abriter contre la résistance de l’air leurs coureurs, casqués plus légèrement, courbés très bas sur leurs guidons, leurs jambes tournant les grands pédaliers dentés, la roue avant, plus petite, frôlant le rouleau derrière la moto, qui offrait au coureur un abri, et les duels qui étaient ce qu’on pouvait voir de plus poignant, le pat-pat des motos, et les coureurs épaule contre épaule, roue contre roue, montant, descendant dans les virages, tournant à une allure meurtrière, jusqu’à ce que l’un deux, incapable de suivre plus longtemps le train, lâchait prise, se heurtant soudain au mur épais de l’air dont il avait été protégé jusque-là.
[…] Il me faudrait évoquer le monde étrange des Six-Jours et les merveilleuses courses routières en montagne. On n’en a jamais parlé correctement qu’en français, et tous les termes techniques sont français, de sorte qu’il m’est très difficile d’écrire sur ce sujet. Mike avait raison : il n’était pas besoin de jouer de l’argent. Mais cela appartient à une autre de mes périodes parisiennes. »

> Paris est une fête (titre original : A Moveable Feast), Ernest Hemingway, Gallimard, Collection Folio, 2012

> Ernest Hemingway est un journaliste et écrivain américain dont le travail a été récompensé par les plus belles distinctions, le prix Pulitzer (1953) et le Nobel de Littérature (1954). Particulièrement éprouvé par les combats de la Première Guerre Mondiale, qu’il vivra au plus près, il s’installe à Paris en 1921 pour se consacrer à l’écriture. C’est dans la Capitale française qu’il tente d’échapper à l’absurdité de la guerre en s’adonnant à de nombreux divertissements, les courses de chevaux comptant parmi les plus prenants et l’entraînant, au contact de son ami Henry Mike Strater, vers les courses cyclistes. C’est à Paris que son destin d’écrivain se forge après la publication de ses deux premiers romans, Le Soleil se lève aussi en 1926 et L’Adieu aux armes en 1929.