Avoir la chance d’accéder au meilleur de la presse cycliste et partager un extrait qui a retenu l’attention : telle est l’intention de cette rubrique de Gravillon baptisée « Morceau choisi ».

Nouvel invité de cette série d’articles qui rend hommage à l’écrit, à l’encre et au papier : le magazine 200 dans sa déclinaison d’automne 2020.

Tandis qu’Alain Puiseux et ses compagnons s’attaquaient au défi des « 7 Majeurs » — l’Izoard, le col Agnel, le col de Sampeyre, la Faunièra, la Lombarde, la Bonette et le col de Vars — parcourant quelque 360 kilomètres et s’affranchissant de 10 000 mètres de D+, Étienne Lantier et ses camarades ont choisi d’escalader des terrils du Nord de France, « 7 Mineurs » témoignant du passé glorieux de ce Bassin minier. Une incursion parmi les puits, sur ces terres noircis que les briques rouges et les frites étincelantes peinent à faire briller de nouveau. Rouler pour mieux s’arrêter. Au coin de la rue. Au chevet des gens d’ici. Une barquette à ma main.

« LITURGIE DE LA FRITE
À la fin des annes 80, la fermeture définitive des mines s’est faite brutalement, pendant que trente ou quarante kilomètres plus haut fermaient les dernières filatures de la métropole lilloise. Le Bassin minier a vécu, mais au ralenti, les mêmes épisodes qui suivent l’annonce d’une catastrophe — de toutes les catastrophes. Le déni, la colère, la dépression, le renoncement, et lentement, le retour à la vie, le temps qu’elle repousse. C’est maintenant. La fin du charbon était annoncée depuis les années 70, ou même avant. Rémi* nous fait contourner le lac, zigzague dans les ruelles, escamote le bord d’un trottoir et stoppe devant une friterie.
Ce pourrait être un cliché, la friterie. C’est beaucoup mieux. C’est une liturgie, un renoncement magnifique à la diététique. C’est l’abondance à la portée des pauvres : la carte est plus longue que celle d’un étoilé, les dix tonnelets de sauces sont dodus et bien alignés — une allégorie de l’abondance. Les vrais connaisseurs savent les trois variantes de sauce Bicky. Je ne connaissais pas la sauce Tuche, la dernière arrivée. Pas mauvaise. Il faut tout essayer.
Le patron a des tatouages, le verbe faussement bougon et l’écumoire généreuse. La frite, dans le Nord, c’est le moment où tu te sens riche. La première louche remplit la barquette. Le seconde la transforme en terril. Ça déborde, se répand. Le patron prépare la fête en repliant autour du paquet une feuille de papier kraft d’un mètre carré.
« Tu veux du sel ? »
Le tutoiement est servi avec, et d’office.
Sinon, vous n’êtes pas dans le Nord.
Ou vous n’êtes pas dans une friterie.
Fuyez. »

La suite de ce texte « Bonnes mines », écrit par Étienne Lantier, dans le numéro 26 de 200.
*« Rémi a un vrai nom de famille mais personne à Lille et dans le milieu cycliste ne l’appelle autrement que Rémi Quinquin. »