L’amateur de cyclisme n’est pas sans connaître l’importance de ces soldats de l’ombre dans le triomphe de leurs leaders. Maîtrisant les bordures, frottant à l’envi, menant le train ou abandonnant leur vélo au profit de leur chef de meute, les équipiers sortent souvent des contours de l’écran, motos et hélicoptères les laissant se débattre aux confins du peloton et le public les perdant de vue pour mieux acclamer la tête de file au moment du sprint ou du franchissement d’un col. Rares sont ceux qui auront, un jour, la chance de lever les bras à l’arrivée, à moins qu’un fait de course ou qu’une générosité soudaine, dans l’oreillette, leur laissent l’opportunité de gagner et de vivre l’allégresse fugace de la victoire.

Grégory Nicolas a pris fait et cause pour ces hommes exposés aux foudres du public ou tapis dans l’anonymat du peloton. Des individus dont l’abnégation est encensée par les experts et dont les écarts sont conspués par la foule. L’auteur trouve dans Équipiers une occasion de se jeter à corps perdu dans l’effort cycliste. Des souvenirs de sa famille (qui a côtoyé Louison Bobet) ou de ses rêves de jeune coureur devait un jour naître une œuvre. La voici finalement. Magistralement. 30 chapitres qui éprouvent et exaltent comme autant d’étapes du Tour. Des épisodes puisés dans le flot des confidences de ceux qui font ou défont les échappées. Forgent ou entravent les trajectoires des meneurs. Ils sont uniques. Ils sont pluriels. Ils sont admirables. Ils sont Pierre RollandPerrig Quemeneur, Geoffrey Soupe, Axel Domont ou Clément Chevrier.

« Perrig ne s’est pas menti, et même s’il a espéré être un très grand coureur, il a vite compris qu’il n’était pas de taille pour jouer les premiers rôles. Et durant les deux premières années, même jouer les seconds rôles lui semblait inaccessible. Il galérait, c’est ce qu’il dit. Il faut dire que la différence entre le milieu amateur et le milieu professionnel est vertigineuse. On sait évidemment la vitesse plus élevée, la distance plus longue, la tactique plus fine. Mais Perrig a dit aussi la gestion des périodes sans courses, ou au contraire l’intensification du rythme des compétitions, le sentiment d’être aspiré par l’arrière à chaque relance du peloton, et la difficulté à récupérer ensuite. Mais aussi la question de ce à quoi il pourrait être bon. Car personne n’en savait rien. Et Perrig pas plus que les autres.
D’abord, on l’a aligné sur des kermesses belges où il a pris bouillons sur bouillons, puis sur des courses comme le Tour de Californie où il s’est fait taper dessus pendant une semaine, et sur des courses prestigieuses où il n’existait pas, mais jamais de grands tours, on n’allait tout de même pas lui donner la place qu’un autre méritait davantage simplement pour le féliciter de sa bonne humeur et de son humour. Il lui fallait gagner sa place. Ça a duré deux ans. »

> Équipiers, Grégory Nicolas, Hugo Sport, 2019, Préface de Romain Bardet et Clément Chevrier

> Grégory Nicolas a connu une carrière cycliste fulgurante dans sa Bretagne natale, le talent insolent de plusieurs de ses homologues du même (jeune) âge l’invitant rapidement à se détourner de la route pour préférer les études, l’enseignement et l’écriture. Après trois romans et un recueil de nouvelles, un livre consacré au cyclisme s’est imposé à lui, au fil des rencontres et des accointances familiales avec des coureurs de renom. Et il s’est remis en selle.

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