Race Across France 2020
Étape #1 : Mandelieu La Napoule – Venasque
- © Nicolas Fritsch
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Autant être clair dès les premiers mots, le goût d’inachevé de l’aventure Race Across France 2019 (dans la version 300 kilomètres) imprégnait encore mon appétit non rassasié. Mon choix, Pour cette 2020 de la RAF, s’est porté sur la version 1100 kilomètres à parcourir en 120 heures. Prendre une revanche avec soi-même en mettant la barre plus haute. Nourrir son égo et lui en faire baver par la même occasion. Et vivre une challenge « ultra distance cycling » qui ne laissera que très rarement la place aux faux plats montants ou descendants.
L’affluence de participants sur cette 3e édition montre un intérêt grandissant pour ce type d’épreuve. Les beaux et onéreux vélos sont de sortie comme les belles tenues d’apparat. Ça parle haut et fort. Les rouleurs sobres et taiseux ont sûrement hâte de prendre le départ.
Cette première étape a mis à mon menu, dès l’entrée, une portion de dénivelé. L’expression « plat de résistance » a pris tout son sens au fil des kilomètres avalés, un soleil lourd venant écraser cette première journée. Les premières pentes anodines remettent les pendules à l’heure et chacun concède, qu’à Grasse, nous sommes bel et bien dans le vif du sujet. À ce stade, le petit déjeuner cède rapidement sa place à la sensation de soif. Il va falloir gérer la course à proprement dite, et en particulier la course à l’hydratation et aux vitamines. Chaque filet d’air, qui s’engouffre entre deux rues étroites d’un vieux village, assèche encore plus mon gosier.
La sortie de Saint-Vallier-de-Thiey, la route de Thorenc (D5), col de Ferrier, col de la Sine… Je reconnais peu à peu les routes empruntées l’année précédente avec mes coéquipiers de Gravillon sur la version 300 kilomètres. Une prime tentative qui s’est terminé au 338e kilomètre sur le pentes du Mont Ventoux. Le harassement, la fatigue, la nuit, les rafales à 100km/h au sommet du Ventoux, avec 0°C en température ressentie, nous ont fait renoncer à 6 kilomètre de l’arrivée. J’y ai pensé de longues semaines à cet abandon, si près mais si loin quand l’esprit n’est plus lucide. Je m’étais dit que pour cette édition de 1100 kilomètres, l’abandon ne serait pas une option. Qu’une douleur supportable ne me contraindrait pas, qu’un ennui mécanique aurait sa solution, que la nuit serait un ange gardien, que le sommeil n’aurait pas son marchand, que le vent ou la pluie ne seraient que passagers.
Au col de Bleine, le soleil chauffe beaucoup trop. Une bonne descente vers Saint-Auban me rafraîchit avant d’attaquer directement vers Soleilhas. Je commence à me souvenir que le parcours de cette version 300 kilomètres est usant, qui plus est par 32°C à l’ombre. Le 6e sens en alerte, l’intuition géographique, l’observation, pas besoin de GPS pour dénicher la fontaine où coule l’eau fraîche des montagnes. Elle est par là, pas loin, tendre l’oreille et écouter le clapotis intermittent de la chute d’eau. Il faut juste espérer qu’un écriteau « eau non potable » n’y sera pas apposé. J’ai tellement bien scruté mon environnement que je m’aperçois que la dite fontaine est pratiquement sous le panneau… rue de la Fontaine. L’évidence s’évapore.
Il faut repartir. Col de Saint-Barnabé, 6%, pas de vent, 35°C, la sueur n’a pas le temps de ruisseler. Les nuances de bleus du Lac de Chaudanne voudraient me tenter pour un plongeon rafraîchissant mais je dois avancer, ne pas me laisser happer par l’évasion aquatique et le contour forestier bucolique de ce plan d’eau. Je m’enfonce dans les Gorges du Verdon qui ne m’offrent guère plus de fraîcheur. L’idée m’effleure maintes fois de me jeter dans un ruisseau comme ces estivants heureux, de se prélasser dans les méandres glacés de la rivière du lieu. Le regard, un temps détourné par la lascivité de l’humain en vacances, puis je file. Je bois. Je file. Je bois. C’est obsédant mais j’avance, parfois hébété par la chaleur qui cogne sur mes tempes. Pédaler, juste pédaler.
L’attrait du paysage est secondaire mais redevient prioritaire lorsqu’une douleur se réveille, s’installe, s’obstine, ne nous quitte plus. Il faut jouer avec l’alternance des sensations. Je relance la machine sur un assouplissement de pente à 4%, me mets en danseuse pour détendre des muscles endoloris et soulager ces fragiles parties du corps qui frottent contre une selle imperturbable.
La Palud-sur-Verdon. Une fontaine. Bidons remplis.
Passé le lac de Sainte-Croix et ses points de vue touristiques, je retrouve l’emplacement de cette épicerie à Moustiers-Sainte-Marie où j’achète un sandwich… accompagné de trois boissons qui m’aide à faire passer les bouchées. Je peine à ingurgiter tellement la salive manque à la mastication. C’est une première, je n’avais jamais été confronté à cette étrange et pénible réaction interne qui me suivra tout au long de cette première étape.
Route de Riez, ça descend vers la plaine. Un peu de répit. Et mince, ça remonte. Je râle. J’enquille la D907, vers Oraison, qui me rappelle que nous avions envoyé du 37 de moyenne l’année dernière sur cette portion. Là, j’ai 5 kilos de bagage, des bidons vides et du vent de côté. Ça m’amuse moyennement. Moralement, le plus déstabilisant, c’est de croire qu’on a fait la plus grande partie du trajet et de se rendre compte qu’il reste encore une petite moitié.
Le Lubéron ne vous cajolera pas avec ses derniers effluves de lavande. Le jour décline, j’aimerais bien faire comme lui et suivre un rythme biologique. M’allonger dans un champ et m’enrouler dans les herbes hautes comme dans un drap de lit.
J’entre dans le pays de Gordes. Le soleil abat ses derniers rayons. Un décor somptueux, orangé, enveloppe ce village perché. Les ombres s’étirent, la journée s’assouplit… pas le dénivelé. Il y a des souvenirs qui ne s’effacent pas, comme celui de cette route de Cavaillon qui préface la route de Murs. Une montée qui semble interminable tant le corps a souffert de la chaleur. La nuit s’installe, je franchis le col de Murs, un des monts du Vaucluse, 626 mètres. La descente qui s’ensuit vers la Combe de Vaulongue est sinueuse, dangereuse. Le mauvais état du revêtement n’arrange rien à ma fatigue.
Le premier point de ravito n’est pas loin, panneau Venasque, je rêve de prendre une cascade d’eau fraîche sur la tête, de profiter d’un massage complet et d’un vrai repas salé. Hébété, je décroche les cales, pose un pied à terre. Je mettrai une heure à manger un ridicule morceau de poulet, des lentilles et du riz. L’eau gazeuse me donne l’effet de boire du plâtre pétillant. Douche. Vrai bonheur. Je m’avachis sur une terrasse en bois enroulé dans un drap. Autour de moi quelques vaillants dorment déjà, des murmures montent du camp, des voix disparates s’élèvent. Il est 2h, la nuit est claire, étoilée. D’autres repartent pour l’ascension du Ventoux, je ne veux pas y penser mais demain, ce sera mon tour.