Rouler pour guérir © Diego Cagnato
« Combien de temps je vais devoir rester sans faire de vélo ?! » C’est la première question qui m’a traversé l’esprit quand mon médecin prononcé les mots les plus terrifiants que j’avais jamais entendus : « Oui, il s’agit bien d’un cancer ». Ce n’est qu’à partir de cet instant que j’ai commencé à penser à la chimiothérapie, à la mastectomie, à la perte des cheveux et aux nausées. « Vous pensez que je serai capable de remonter sur un vélo pendant le traitement ?! » ai-je demandé encore. « Absolument. Il sera même essentiel de continuer », a-t-il conclu en souriant de tout son cœur.
Je n’avais jamais été aussi fine. Je n’avais jamais fumé. Ne buvais de l’alcool qu’occasionnellement. Roulais énormément depuis près de 13 ans. Et la grosseur que j’avais trouvé sous mon sein gauche pendant ma douche ne ressemblait pas à une tumeur, selon mon médecin. De plus, j’étais jeune, à peine âgée de 35 ans. Mais c’était bien un cancer. Un type rare, appelé carcinome mucineux, plus fréquent chez les femmes de plus de 65 ans.
C’était en janvier 2016, à São Paulo, au Brésil. Tout a défilé très vite, comme la route sous les roues de mon vélo la veille de mon opération en février. La chimio a débuté en mars. Mon imbécile de petit ami néo-zélandais a quitté la maison en avril (« J’ai lu sur internet que la chimio peut être dangereuse pour MA santé » a-t-il lancé tandis que je le regardais en pensant que mes cheveux pouvaient tomber à tout instant). J’ai été invitée par l’éditeur des magazines Go Outside et Bicycling Brazil à suivre le Tour de France féminin en juillet – et je m’y suis rendue maigre et complètement chauve. J’ai même participé au Rapha’s Women 100 en juillet (oui, pendant la chimio). En août, mon corps entier s’est mis à gonfler sous l’effet de la cortisone, ajoutant des kilos à une silhouette qui ne résolvait pas à disparaître. La dernière session de chimio s’est déroulée en septembre. Ma nouvelle vie a commencé en octobre, et je suis parti en voyage en Iran avec mon frère pour célébrer l’évènement au début du mois de novembre.
Je n’ai jamais arrêté de rouler durant tous ces mois. Cela m’a aidée à conserver ma santé mentale, même si j’étais ridiculement fragile et pouvais à peine pédaler. « Tu es la cycliste la plus forte et la fille la plus radieuse que je connaisse » m’a glissé mon ami Talita pendant que je luttais pour arriver au sommet d’une colline que je domptais autrefois si facilement. Mes yeux étaient plein de larmes. Mais je continuais à pédaler. Cela allait au-delà de l’obsession; c’était la force qui me gardait en vie.
Quelques jours avant mon opération, le champion du Monde Peter Sagan est venu au Brésil. Nous avons roulé ensemble quelques minutes, ce qui m’a fait oublier pendant un moment le cauchemar que j’étais en train de vivre. Mon ami, le photographe Diego Cagnato, m’a demandé ce jour-là : « Comment ça va ? ». Je n’ai pas hésité : « J’ai un cancer. » La même semaine, nous nous sommes de nouveau rencontrés dans une soirée. Et il m’a demandé s’il pouvait me suivre pendant mon traitement avec son appareil. Il était là quand je suis arrivée à l’hôpital autour des 17h. Quand j’ai presque vomi pendant la chimio. Quand j’ai fait couper mes cheveux. Quand j’ai crié parce que le cancer est un mal bien pire que la peine d’un cœur brisé…
Un an plus tard, je regarde ces photos et je me sens réconfortée d’avoir tant d’amis merveilleux pour me tenir la main et de cultiver une telle passion pour le cyclisme. Mon vélo est resté à mes côtés et ne m’a jamais déçue. Jamais. Ça pourrait sembler être un cliché, mais c’est la réalité – mon vélo m’a appris que j’étais plus forte que je ne l’imaginais. Le cyclisme n’a jamais été aussi merveilleux.
La vie suit son cours. Et mes pédales continuent de tourner. Les montées difficiles se succèdent, ainsi que les descentes exaltantes. Je suis guérie maintenant. Plus sereine. Toujours en train de récupérer de mon traitement. Toujours à la poursuite de ma forme physique. Je vais continuer. Peu importe les efforts.
Erika Sallum, l’auteure de cet article, est une journaliste basée à São Paulo qui collabore actuellement à la rédaction des magazines Go Outside et Bicycling Brazil. Diego Cagnato, qui signe les clichés de cet article, est un photographe de São Paulo dont le travail se concentre sur le récit d’histoires personnelles. Rouler pour guérir est une traduction française du post A ride to recovery publié récemment sur le site Pretty Damned Fast.