Échappée rassemble six récits glanés par Agnès Dargent au gré de ses voyages à vélo entre plaines et montagnes françaises. On retrouve dans ces lignes les impressions rapportées par les grands découvreurs cyclistes, les instants vécus aux confins du monde. On pense immédiatement aux propos des émissaires du Magazine 200 ou des participants de la Transcontinental Race. Pourtant, Agnès Dargent ne s’est aventurée que dans les monts du Lyonnais ou sur le plateau Vivarais-Lignon, dans l’Ardèche et dans la Haute-Loire. Elle n’a pas franchi de frontières lointaines, ne s’est pas lancée en quête de tribus disparues. Elle s’est contentée de pédaler, de contempler et de s’arrêter au bord de nos routes. Elle a croisé des paysans, des cafetiers, des gens surpris par son arrivée et parfois interloqués par son accoutrement cycliste. Elle a noué quelques contacts, rares, les taiseux rechignant à se laisser distraire par l’arrivée d’étrangers cyclistes. Elle s’est imprégnée de paysages magnifiques et de l’odeur du café tiède servi dans une tasse ébréchée sur une nappe plastifiée. Une vie simple au gré du pédalage et des humeurs du temps.

« Le vélo appuyé à côté de la porte, on entre, le pas un peu vacillant de ceux qui retrouvent la terre. Dans la salle, le regard se heurte à la pénombre, au silence soudain des hommes au comptoir, on gêne avec nos chaussures à cales qui claquent sur le carrelage, cette tenue que Vélocio aurait trouvé « saltimbantesque », davantage faite pour les « lutteurs et acrobates de foire ».
Et c’est assurément un inconvénient que d’avoir cédé à ces matières moulantes aux couleurs criardes, car voyager doit permettre de voir, et non d’être vu, mais il n’y a pas que l’indiscrétion de nos vêtements; il y a aussi notre air égaré pour nous faire remarquer, ce regard du voyageur qui n’accommode plus. Pourtant, tout ce que nous désirons, tout ce qu’il nous faut, c’est nous asseoir à l’intérieur, nous ressaisir dans la confinement d’une salle où flottent les odeurs des serpillères mal rincées, et du chien qui dort là-bas sous une table, le museau entre ses pattes bien allongées.

Choisir la terrasse, c’est pour les beaux jours de printemps, les premières sorties à vélo, quand on est affamé de soleil, raidi par le froid de la dernières descente, ou l’été, lorsqu’on est en voiture et que la halte signifie au contraire fuir l’habitacle surchauffé, allonger ses jambes librement sur une chaise, regarder le paysage fixé aux limites du ciel, le temps de la halte.
A vélo, c’est dedans qu’on préfère se reprendre, même si on est de trop dans la familiarité de ces bars qui tiennent autant du club sportif, avec les coupes alignées sur l’étagère où fonctionne en permanence la télé, les photos de l’équipe de boules, de foot aussi, que des salles de séjour des hospices où l’on joue aux cartes jusqu’au soir avec des patrons qui sont aussi vieux que des habitués. »

> Échappée, Agnès Dargent, Cheyne Éditeur, 2000
> Agnès Dargent était professeure de Lettres dans la région lyonnaise. Percutée par un véhicule alors qu’elle circulait à vélo sur les routes du Doubs, elle a perdu la vie en juin 2013. Échappée est son seul ouvrage. Elle raconte sa passion du vélo, dévoile ses élans contemplatifs et déclare son amour aux chemins de traverse de notre beau pays de France.