
NACH HAMBURG : EN ROUTE VERS L’ALLEMAGNE #2
Nicolas Fritsch 4 décembre 2024Wintersdorf – Hamburg
Le franchissement du Rhin par le pont de Wintersdorf me projette quelques années en arrière. J’arrive dans le « Landratsamt » (bureau de district) de Rastatt. À l’Est, je vois les contreforts boisés de la Forêt-Noire. Les Forces Françaises en Allemagne, ça vous parle ? Non ? Ce n’est pas grave. Le nom de cette ville et surtout celui de sa voisine Baden-Baden réveille en moi les histoires de mon père qui a effectué son service militaire dans cette région. Un service particulier qui a réuni autour de lui des voyous, des bandits, des brutes, des têtes brulées, des idiots, des faibles… et pas un ami. Une punition à l’anti-autorité de ses 18 ans ? Peut-être, mais le quotidien des bérets, tous colorés soient-ils, fut rocambolesque, rude et finalement salvateur pour mon père, très sérieusement asthmatique. Pour une fois que l’armée ne blesse pas un soldat mais en ressuscite un autre. Mon père ne faisait pas beaucoup de vélo, il réparait plutôt les miens. Alors, je l’emmène souvent avec moi dans mes escapades, je l’imagine dans ma roue, calculant un dépassement surprise, un sourire en coin. Voir tous ces paysages, avec lui, qui défilent. Pas trop vite, moins vite. Il me manque.
Pour me sortir d’une certaine torpeur, je longe la « Bundestrasse 36 » tonitruante, écoulant son flot de véhicules vers Karlsruhe. C’est la première grande métropole allemande que je traverse. J’aurais dû m’en méfier, même avec une signalétique vélo justement réfléchie. Avec le soleil rasant qui atténue les couleurs vives des feux tricolores, je crois voir un clignotant vert pour cyclistes, je tourne sur ma gauche, m’engage au milieu d’une chaussée et vois débouler d’une courbe à angle mort, en pleine et vicieuse accélération, un SUV noir, vitres foncées. Le vrombissement du V6 couvre à peine les coups de klaxon appuyés. C’était un feu rouge donc. Mais pourquoi autant de férocité pour montrer que vous avez commis une erreur, en appuyant sur l’accélérateur et frôler une roue arrière, au risque de perdre le contrôle ou de se voir verbaliser pour vitesse excessive en agglomération. Pire, renverser ce cycliste.
L’entrée en matière dans ce pays que je mets, raisonnablement, sur un piédestal est plutôt déconcertante. Je fuis par de petits tronçons de pistes cyclables urbaines inter-communales. C’est moins bucolique que de cheminer le long du Rhin sur une voie verte mais c’est surtout le tracé que je me suis fixé. Le plus droit et le plus court. Je traverse de calmes communes bercées par une chaude fin de journée. Eggenheim, Leopoldshafen, Hochstetten et à Neudorf, je freine vigoureusement devant un « Orient Grill ». Pas d’autres choix plus typique, je commande une galette avec des falafels surdimensionnée par rapport à ma capacité stomacale. Une fois rassasié, j’en garde la moitié, ça peut éventuellement faire un petit déjeuner. Je file en quête d’un endroit où dormir. Séché par la canicule de cette étape, je trouve un providentiel hôtel à Kirrlach. Une « pils » et au lit.
Le sixième jour paré de son bleu ciel m’invite à partir tôt. Je franchis le fleuve Neckar à Heidelberg. Je regrette après coup ne pas avoir fait une halte plus poussée dans cette ville pittoresque, confortablement blottie aux pieds de collines prometteuses. Je quitte le Bade-Wurtemberg et rentre sur les terres de la Hesse. Dès Birkenau, les pourcentages augmentent, les lacets se montrent. Enfin un peu de tension dans les pignons. Éloigné des axes principaux de la plaine, je m’enfonce au milieu de collines boisées. Les tracteurs prennent place dans ce paysage de cultures à nouveau azoté et nitraté. Sale saison que celle des traitements phytosanitaires.
Je traverse quelques hameaux aux vieilles fermes endormies et fais une halte dans la ville de Babenhausen, à 25 kilomètres au sud-est de Francfort. J’en profite pour déguster le reste de mes falafels dans leur galette refroidie. Mes intestins sont solides, je ne serai pas gêné par des troubles gastriques. Et puis une grande route interminable m’emmène dans une forêt où le silence s’installe comme une sieste dans un canapé. J’entends les bois craquer et le vent bourdonner dans les branches de la canopée.
À Mainflingen, je rencontre le Main aux couleurs sombres qui coule sous une passerelle que je franchis au pas, doublé par des véhicules électriques de mobilité réduite à quatre roues filant à vive allure vers l’avenir. Les baby-boomers germaniques sont comme les nôtres… Pressés ! Pythagore peut être fier de son théorème. Les Allemands maîtrisent à merveille le raccourci par l’hypoténuse, cette parallèle contiguë et quasi-permanente aux départementales qui me sort d’un trafic automobile pourtant minime.
Rouler 600 kilomètres sur des voies cyclables entre Strasbourg et Hamburg était inespéré, d’autant plus sur un revêtement de très bonne qualité.
Je profite d’arbres fruitiers judicieusement plantés le long des pistes. Sur des kilomètres, longeant d’autres cultures, pommiers et pruniers égayent la balade. Pour qui veut faire des tartes ou des compotes, c’est Byzance. Pour moi, c’est ma pitance. Je chevauche depuis plusieurs heures dans la région « montagneuse » de Fulda. Les routes sont impeccables, abandonnées, comme si j’avais réservé un créneau de tranquillité. Les villages coincés entre les collines ne frémissent d’aucune activité humaine et, pourtant, d’authentiques maisons à colombages marquent bien l’attachement à une architecture bien vivante. Je préfère cette diagonale allemande de vie à la précédente diagonale française du vide.
J’aurais atteint tout de même les 493 mètres d’altitude sur la commune d’Ober-Moos. Ce ne sont pas les grands sommets.
Dans le district de Cassel, j’entame une belle descente dans la ville, au nom difficilement prononçable, Bad Salzschlirf… Même les Allemands s’y reprennent à deux fois. J’y découvre l’imposant Hôtel Badehof de style Art Nouveau après m’être cassé le nez sur des établissements fermés ou complets. Avant d’entrer dans le hall majestueux, je cale mon frêle vélo au milieu de rutilantes bicyclettes gonflées au lithium. La région est très prisée des cyclistes, dit-on, mais ces machines doivent promener des hanches défectueuses, des articulations grinçantes et des oisifs fortunés…Ou les trois à la fois. Dernière chambre, une chance me dit la réceptionniste qui me propose également un cadenas pour mon vélo. Le dîner sera frugal. Le petit déjeuner sera gargantuesque. Une nuit spéciale à 4 étoiles.
La vallée, où serpentent les eaux du Schlitz, sort tranquillement des brumes flottantes. Je suis le cours de la rivière Fulda jusqu’à Bad Hersfeld puis Bebra. À Seifertshausen, une déviation pour travaux m’oblige à grimper par une route culminant au meilleur passage à 15%. Ça tombe bien, je n’avais pas très chaud. Un banc m’attend. Pause. La vue est faite de grandes prairies pentues déclinant des verts différents. Ma tête tourne, je crois voir courir des Heidi et entendre chanter des Gertrude. Je mange une pomme et quelques fruits secs. Ça va mieux.
Je traverse rapidement la médiévale Göttingen qui, telle une rengaine, me fait revenir les mots de Barbara. Elle écrivit la célèbre chanson après avoir finalement accepté l’invitation pour un récital dans la ville universitaire allemande. Le son rock des Guano Apes, originaire de Göttingen, correspond plus à la musique qui m’accompagne au quotidien mais Barbara, c’est une belle histoire d’amour, la plus belle !?
Depuis une dizaine de kilomètres, je sens une résistance aux changements de pignons et je ne m’inquiète pas… Et finalement, ça casse. Cable rompu, chaîne bloquée sur petit pignon. Il me reste 350 kilomètres avant Hambourg, mais c’est la fin des gros dénivelés. Je me résous à rejoindre Einbeck pour cette fin d’étape.
C’est en partant tôt le lendemain que je constate que j’ai passé la nuit à côté de ce haut lieu technologique qu’est le Musée des Transports individuels, une fierté de la ville. Mes compagnons de Gravillon auraient été heureux de visiter le PS. Speicher pour découvrir la plus grande collection au monde de vélos, de motos allemandes ainsi de que de voitures anciennes.
La grisaille laisse place à un soleil franc. À la sortie de Nordstemmen, j’ai une splendide vue sur le château de Marienburg. Un joyaux architectural néo-gothique aux 130 pièces réparties sur cinq étages. Passé la colline, je redescends sur Schulenburg où je m’offre un copieux petit-déjeuner. Accompagnant mes deux brioches, le grand café commandé est servi dans un gobelet de 40 cl. La dose de diurétique est atteinte pour la journée.
Très rapidement, je rentre dans Hanovre. Je suis surpris par la tranquillité ambiante d’une circonscription comptant plus d’un million d’habitants. Rien à voir avec l’énervée Karlsruhe. Je passe le Legionbrücke et prend plaisir à une déambulation urbaine entre de nombreux parcs et jardins qui égayent la ville la plus verte d’Allemagne. Le vélo a toute sa place et mes doigts de pieds se sentent en sécurité. Hanovre, je reviendrai.
L’alternance entre l’agréable et l’ennuyeux survient à la sortie de la capitale de la Basse-Saxe. La route L190 vers Essel me gratifie d’une vingtaine de kilomètres et de cinq interminables lignes droites successives. Une fois n’est pas coutume, je ne profite pas d’une piste cyclable attenante mais boisés et peu fréquentés, ces tronçons restent finalement plaisants. Une multitude de forêts borde mon trajet. Je retrouve des arbres fruitiers pour remplir ma besace. Cela m’évite de manger une fade « Schnitzel » (escalope panée) en bord de route dans une auberge isolée, éloignée d’une certaine attention culinaire. Il n’est pas aisé de dénicher un restaurant ouvert en milieu rural où les activités touristiques sont inexistantes.
J’avance bien, même vite, avec ce vent de sud-ouest qui me rapproche de l’arrivée. Je contourne Buchholz in der Nordheide. Je sens la relâche venir. Les jambes sont légères et le coup de pédale décontracté. Les axes routiers sont sensiblement plus larges mais les pistes cyclables restent séparées du trafic.
Et puis le dernier quartier, Harburg, avant le saut au-dessus du « Süderelbe » (bras sud de l’Elbe) par un pont métallique et une vieille porte d’entrée magnifique, imposante. Les grandes grues du port industriel, comme des jambes élancées de gigantesques animaux d’acier, semblent surveiller le trafic fluvial des milles canaux qui sont les veines de cette métropole étendue. Hamburg, je la respire enfin. Son air iodé envahissant la ville libre et hanséatique. Je devine les maisons de briques ocre-rouge, le « Fischmarkt » et enfin le « Elbtunnel » où m’attend ma sœur prête à photographier la fin de ce long périple aller… Car il y a un retour. Mais ça, c’est une autre histoire.
Moin, Hamburg !
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