Comme chaque année à la même époque, l’appel des cols s’est fait entendre. Et comme chaque année à la même époque, une poignée de Gravillon(s), diversement préparés, s’est lancée dans une nouvelle aventure dans les hauteurs. De certains diront pour s’élever. D’autres, sans doute, pour prendre de la hauteur. Tous, enfin, pour atteindre des sommets d’effort et de souffrance.

Race Across France 2019

Le prétexte de cet été 2019 était la Race Across France, grande transversale permettant aux jambes les plus vaillantes de s’exprimer sur de superbes terrains de jeu cyclistes. Une occasion pour un groupe désormais aguerri à la Chose pyrénéenne et aux rondeurs arvernes de venir se frotter au mythe. De terrasser un nouveau montre. De vaincre le Géant de Provence.

Race Across France 2019

Fiers dans l’allure. Décidés dans l’élan. Fleurs et papillons au canon. Et tout de Ravito emmaillotés. Mais commettant sans doute un péché d’orgueil en se lançant dans une reconnaissance du Ventoux, grandeur nature et majuscule, deux jours avant l’ultra-échéance de la RAF. Dans la canicule. Dans l’égarement. Une ascension dans la difficulté dès les premiers méandres, sur cette portion boisée que des commentateurs mal avisés nous ont promis roulante.

Race Across France 2019

Car la légende tarde à s’écrire dans ces premiers kilomètres, raides et étouffants, qui semblent ne jamais vouloir nous laisser entrevoir le Chalet Reynard, début de cette terre tant promise que pelée. Le seul réconfort est de partager cette peine avec de nombreux compagnons d’infortune, amassés sur les pentes en cette journée de pleine saison.

Race Across France 2019

Ardente est la chaleur. Rude est la pente. Ouvert est le jersey. Il faut pourtant mouliner. Pour ne pas choir et rejoindre les défaillants dans la rocaille. Le temps s’écoule avec lenteur. La douleur s’immisce avec détermination. L’œil est hébété mais l’oreille reste aux aguets. Aux cigales laissés dans les bois succèdent le sifflement des roues qui dévalent la pente à contre-sens, certains regards semblant compatir à notre peine de grimpeurs vacillants.

Race Across France 2019

Le sommet a dévoilé sa surface blanche et irradiée dès la plaine. Il semble pourtant ne jamais vouloir se laisser atteindre. Nous détaillons à chaque tour de pédale les marques blanches qui bordent la route. La lenteur de notre allure laisse libre cours à la contemplation, malgré la sueur abondante qui inonde nos fronts et l’écume teintée des furtives saveurs du vin rosé goûté la veille qui s’accumule au coin des lèvres. Nous approchons du pic surmonté de cette tour d’observation qui toise les cyclistes et guide motos et camping-cars, nos compagnons mécaniques de chaque instant, vers le sommet.

Race Across France 2019

Voici le sommet et son monceau de doutes, malgré l’effusion qui règne parmi cet enchevêtrement de touristes éberlués et sportifs fatigués. Car cette ascension diurne a marqué jambes et esprits, dans la chaleur d’août et malgré la fraîcheur des corps. Et quant sera-t-il de la montée nocturne programmée, deux jours plus tard, dans le final du format des 330 kilomètres de la Race Across France.

Race Across France 2019

Les heures passent rapidement à l’approche de l’épreuve. Bien plus rapidement que les minutes qui se sont égrenées si longuement dans cette prime découverte du Ventoux. Un dossard est venu rejoindre l’imposant matériel d’expédition installé sur les vélos. Un brin de solennité vient à poindre. L’échéance est là et le mollet ne peut se défiler. Cette journée du dimanche 28 août 2019 sera dédiée à l’effort dans son ultra-exigence.

Race Across France 2019

Il ne manquait plus que la pluie pour ajouter à la tension palpable aux premières heures du jour. Un comble alors que la canicule a éprouvé les organismes jusqu’à la veille. Ce départ humide, initié depuis les rives de la Méditerranée, trempe immédiatement la ferveur. D’autant que la pente se dresse dès les premiers kilomètres et que chacun aurait aspiré, avec les premières lueurs du jour, pouvoir admirer le spectacle ravissant de la mer et de la montagne, alternant sous des regards enthousiastes.

Race Across France 2019

Les nuages enfin éparpillés par la brise offrent finalement le panorama espéré. Gorges engoncées et cols modestes s’offrent à la vue du cycliste curieux. L’arrivée est lointaine mais le spectacle est permanent. Et la journée passe, à la cadence du pédalage, au rythme des crevaisons et de la dégustation résignée de barres alimentaires.

Race Across France 2019

Quelques retards accumulés laissent craindre une arrivée tardive au pied du Ventoux, au terme de 300 kilomètres. D’autant que les messages diffusés par l’organisation commencent à laisser craindre des conditions dantesques pour l’ascension finale. Le vent s’est levé et malmène la caillasse dans la pente. Après la canicule accablante des journées de préparation et la pluie battante des kilomètres de mise en jambes, un froid indigne d’un été méridional s’annonce au sommet.

Race Across France 2019

Technologies et réseaux sociaux ne permettent plus au rouleur de s’isoler totalement du monde. L’écho de l’arrivée des participants les plus alertes au sommet ne tarde donc pas à résonner dans l’oreille des Gravillon(s) qui périclitent encore à plusieurs dizaines de kilomètres du terme. Et la nuit est tombée lorsqu’ils atteignent le point de ravitaillement installé au pied du Mont Chauve, dont le pic est décoiffé depuis plusieurs heures par de violentes rafales.

Race Across France 2019

L’évidence s’impose. Cette ascension, (re)connue par certains sous un soleil de plomb deux jours auparavant, sera à accomplir dans la nuit noire. Les gilets fluorescents qui ont encombré le corps toute la journée s’illuminent par intermittence, dans les phares des quelques véhicules circulant sur le secteur ou sous les rares lueurs disséminés sur le trajet. Les éclairages, dont les batteries ont été précieusement épargnées durant le jour, donnent leur pleine puissance. Les participants qui n’ont pu échapper à l’obscurité hantent la montée. Parmi les arbres, le vent redouté tarde à se faire sentir et offre l’espoir d’un effort facilité. Un espoir éphémère, qui s’estompe au fur et à mesure que la fatigue inonde corps et têtes.

Race Across France 2019

Et quand le Chalet Reynard apparaît enfin, familles et amis s’apprêtant à applaudir au passage de leurs courageux protégés, chancelants et transis, le pied choisi de se poser à terre. Sur ce bitume de légende cycliste. Le sommet est à quelques encablures. Quelques kilomètres de trop. Personne ne vaincra le Ventoux ce soir. Tous vaincus par la fatigue. Déçus par l’issue de cette aventure. Par ce goût d’inachevé.

Les photos de l’aventure sur Flickr

« L’étape qui subit la personnification la plus forte, c’est l’étape du Mont Ventoux. Les grands cols, alpins ou pyrénéens, pour durs qu’ils soient, restent malgré tout des passages, ils sont sentis comme des objets à traverser ; le col est trou, il accède difficilement à la personne ; le Ventoux, lui, a la plénitude du mont, c’est le dieu du Mal, auquel il faut se sacrifier. Véritable Moloch, despote des cyclistes, il ne pardonne jamais aux faibles, se fait payer un tribut injuste de souffrances. Physiquement, le Ventoux est affreux : chauve (atteint de séborrhée sèche, dit l’Équipe), il est l’esprit même du sec ; son climat absolu (il est bien plus une essence de climat qu’un espace géographique) en fait un terrain damné, un lieu d’épreuve pour le héros, quelque chose comme un enfer supérieur où le cycliste définira la vérité de son salut, soit par pur prométhéisme, opposant à ce dieu du Mal, un démon encore plus dur (Bobet, Satan de la bicyclette). »
Roland Barthes – Mythologies

Les partenaires de cette aventure : Ravito I Minaud & Charcellay
Crédits photo : Race Across France I Nicolas Fritsch I Pierre Labardant