La Vendée est une terre de contrastes. D’extrêmes diront certains. Il suffit de parcourir une centaine de kilomètres sur la [désormais] célèbre Vélodyssée pour en juger. À l’instar de la Provence que le Magazine 200 a sillonné dans la quiétude de mars, la Vendée d’avril ne ressemble en rien à l’agitation qui sévit sur cette côte durant la saison estivale. Et le confinement ne fait qu’ajouter à l’ampleur du phénomène.

© Pierre Labardant

Au sortir des marais qui constituent une frontière tant naturelle que vaseuse avec la proche Charente-Maritime, les stations balnéaires s’abandonnent à la torpeur. Les portes sont closes. Les volets des résidences secondaires dans lesquelles l’urbain vient trouver un peu de réconfort iodé sont fermés. Les devantures des commerces, les portails des campings désertés ou les accès de certaines plages rendues à la sauvagerie sont verrouillés.

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Pénétrer en Vendée, depuis le Sud, constitue déjà une aventure. Située à la croisée des agglomérations d’importance que sont La Rochelle et Nantes, elle est barrée de routes qu’automobilistes et routiers, tant déconfinés que décomplexés, aiment à emprunter à vive allure. Le cycliste qui vient à dévier de sa trace, et perdre contact avec la Vélodyssée, voit ses chances de survie chuter sensiblement, risquant de rejoindre dans les statistiques les nombreux ragondins percutés et éventrés qui jonchent les bords de chaussée.

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Au franchissement de l’écluse puis du pont du Brault, porte donnant sur l’au-delà géographique, sur la digue qui s’enfonce vers des contrées nouvelles, les animaux en bas âge, nés au cours de ces premières semaines du printemps 2021 encore affecté par les restrictions, semblent visiblement s’étonner le présence de ce bipède jonché sur un engin roulant et étincelant. Les oiseaux participent à la procession, virevoltant dans une proximité surprenante, et les bêtes des marais, habituellement farouches, marquent un temps d’arrêt avant de plonger dans l’eau des canaux. À la faveur d’une pandémie qui décime l’humain, les espèces sauvages semblent reprendre possession d’un milieu naturel qu’aucune tourisme ne vient affecter et retrouvent une forme d’apaisement.

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Aux bassins des ostréiculteurs quittés il y a quelques kilomètres succèdent les marais avoisinant les grandes exploitations agricoles. Les huîtres et les vaches partagent ici un goût avéré pour la vase. Durant des kilomètres, bovidés, ovidés et autres échassiers sont les seuls compagnons de route. Sur cette Vélodyssée que l’on sait habituellement très fréquentée, point de vélos surchargés de sacoches [trop] étanches et colorés, point de couples partis en quête de nouvelles aventures, point d’enfants brinquebalés dans des carioles au cul de leurs parents. Cailloux est le seul mot qui s’accordent au pluriel. Un vélo sur une route. Un point c’est tout.

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Sur des kilomètres, seul le rebond du pneu sur la caillasse vient rompre le silence. En quelques instants, il est rejoint par des détonations qui surprennent et emplissent les oreilles. Dissimulés à couvert, dans quelques fourrés ou cabanes enfouies, les chasseurs profitent également des lieux. Et quand le gibier vient à manquer, que la « Galinette » n’a pas daigné pointer son bec, un panneau suffit à l’affaire. Les taggers dont les chaînes à sensation aiment suivre les exploits urbains trouvent ici leurs équivalents ruraux. Les rares panneaux qui viennent barrer le paysage reçoivent leur lot de plombs. Cette chasse est ouverte toute l’année. Certains y verront une façon de rompre la monotonie, quand les occupations manquent et que le plus proche signe de vie est à plusieurs lieues. D’autres y percevront sans doute un avertissement en direction des cyclistes tentés de s’attarder.

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Le sombre de la vase s’estompe enfin lorsque l’œil perçoit les premières lueurs atlantiques et que le nez ressent les premières effluves salées. La Baie de l’Aiguillon dévoile ses remparts, timides fortifications d’époque qui n’ont pas su retenir l’onde et la tempête, un jour de décembre 1999. Derrière ces quelques pierres amassées apparaissent, sous le soleil, de calmes ondulations et un premier éclair de bleu. Une couleur rayonnante qui semble vouloir s’étendre sur de nombreux reliefs du premier village traversé, L’Aiguillon-sur-Mer. Les cabanes à huîtres, les commerces, et jusqu’au massif skate parc de la station balnéaire se parent d’une note bleue.

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La présence humaine se fait à peine plus pressante. Confinement et trêve hivernale semblent avoir incité la population à ne pas s’exposer, malgré le soleil ardent du jour. Seuls quelques signes laissent à penser que les lieux ne sont pas désertés. Quelques bateaux animent le port de leur balai et des traces plus nombreuses apparaissent sur ces pistes qui conjuguent Vélodyssée et itinéraires locaux. Une boucle aménagée dans les pins permet de contourner une pointe tranchante du littoral avant de révéler l’océan.

Soudain, le sable des dunes vient succéder à la caillasse des chemins. Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés, les grains se laissent aller à une flânerie venteuse. Aucune pelle en plastique ne vient les saisir. Aucun seau ne vient les mouler. Ils ne sont d’aucun château. Les rivages laissés à la seule emprise de la marée ressemblent à leurs cousins nordistes. On s’attend à chaque instant à voir débouler un char à voile. Mais l’ambiance n’est décidément pas au débarquement. Le flaneur a cessé d’ourler son pantalon et de tremper ses pieds. Crabes et mouettes peuvent organiser paisiblement leurs réunions de famille sans veiller à la distanciation.

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Et un luxe suprême : laisser les crampons de son gravel s’encanailler dans le sable fin. Retirer la laisse de son cintre et le laisser s’ébrouer sur la plage. Parfois retenu sur les pistes rocailleuses, il exprime tout son tempérament sur le rivage. Un cheval de fer. Une bête de concours qui trouvent une occasion de se dégourdir les moyeux dans l’eau fraîche. Avant de rentrer, l’acier chauffé par le soleil de printemps, et de se rincer allègrement à l’eau douce, prêt à repartir à l’assaut de nouvelle pistes poussiéreuses, empierrées ou boueuses.

Le détail de cette expédition sur Strava.