Un jour, j’ai cru m’enfuir.

J’ai pris l’avion et je suis parti conquérir l’Islande.

J’étais tout jeune, bien trop chargé et mon sac à dos me mettait le dos à sac.

Après deux jours de pénibles crapahuts me laissant sans épaules et sans jambes, je baissai les bras et levai le pouce. Je parcourus ainsi l’île en auto-stop, pris par une soixantaine de bons samaritains. Fort de cette assise automobile, j’appris vite à pester avec eux contre ces abrutis de cyclotouristes qui encombraient les bords caillouteux des pistes cahoteuses qui composent pour l’essentiel le réseau viaire du pays. Ces laborieux voyageurs nous obligeaient à de pénibles écarts et à des ralentissements éreintants. Il était manifeste pour mes chauffeurs et moi que l’Islande n’avait jamais été faite pour être parcourue à vélo et je gardai de ces trajets fatigants une dent tenace contre le cyclotourisme.

Cette dent tomba en rencontrant Florian, quelques années plus tard (ma fuite islandaise avait fait long feu – fuir sur une île est une impasse – et je suivais désormais une piste conjugale.) Florian venait d’entamer un périple cycliste qui avait pour but de l’emmener en Espagne sur les traces des luttes républicaines. Nous étions sa première étape, de La Roche-sur-Yon à La Rochelle. Nous passâmes sa première soirée loin de la Vendée dans un petit restaurant ami, dans un début de canicule, dans un état d’ébriété contrôlé. Le lendemain, il devait en effet prendre la route de la fraternité, et nous devions quant à nous, ma mie et moi, prendre le chemin de la maternité. Junior était à naître.

Au petit jour, Florian s’était échappé et nous, nous ne fûmes pas délivrés. Il fallu encore attendre une bonne semaine pour que Junior paraisse, et plusieurs années avant que Florian ne réapparaisse. Il avait bien roulé et avait même tiré un livre de son escapade ibérique. J’en tirai un peu d’envie. Non seulement, je ne m’étais pas enfui mais c’est un cyclotouriste qui me faisait la nique.

Philippe Guerry s’est illustré à plusieurs reprises sur Gravillon, attirant la passion cycliste sur d’autres terrains. Sur quelques plages, à la poursuite d’un coureur de plomb. Au détour de quelques pages, en quête d’auteurs de talent. Il propose aujourd’hui « Fuite », le septième texte de la série de chroniques « C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas » consacrées au vélo. Un élan rédactionnel dans la droite ligne des Bonheur Portatif et Au Petit Commerce dont il est le créateur.