Avoir la chance d’accéder au meilleur de la presse cycliste et partager un extrait qui a retenu l’attention : telle est l’intention de cette rubrique de Gravillon baptisée « Morceau choisi ».

Nouvel invité de cette série d’articles qui rend hommage à l’écrit, à l’encre et au papier : le hors-série du journal L’Équipe consacré à Raymond Poulidor publié en août 2020.

Extrait de l’édition du 15 juillet 1968, l’article de Michel Clare s’attarde sur la chute dont a été victime Raymond Poulidor à l’occasion de la 15e étape du Tour de France amenant le peloton à Albi. Au fil des lignes, le journaliste, dans l’élan du patriotisme que ne manquait jamais de déclencher le fameux « Poupou », s’indigne du comportement d’adversaires n’hésitant à accélérer alors que le champion est à terre. Il prend fait et cause pour le coureur meurtri qui, malgré tout le courage déployé, abandonnera deux jours plus tard et renoncera à gagner cette Grande Boucle.

« Nous connaissons, hélas !, avec précision, les circonstances de l’accident dont a été victime Raymond Poulidor à moins de cinquante kilomètres de l’arrivée à Albi. Sa version concorde avec celle que donne le motard qui en fut directement responsable. Très attentif au déroulement de la course, le Limousin, qui n’avait pas commis une seule faute dans ce Tour qu’il disputait en futur vainqueur, courant en tête du peloton pour enrayer toutes les attaques possibles, se trouvait dans la roue de l’Espagnol Gonzales, accompagné de plusieurs membres de l’équipe de France, et une bordure s’est faite. Le gros du peloton s’en trouvait légèrement distancé.
C’est alors qu’un motocycliste chargé de donner des informations se laissait glisser pour relever les numéros. Malheureusement, des spectateurs s’étant avancés sur le bas-côté de la route, il fit un écart pour éviter un imprudent : il toucha d’abord Gonzales, et la roue avant de la moto heurta la roue arrière du vélo de Raymond Poulidor, qui tomba de tout son corps sur la chaussée gravillonnée et sentit l’avant de la moto lui heurter la jambe droite au niveau du genou.
À peine ses adversaires eurent connaissance du coup qui le frappait qu’ils se déchaînèrent et attaquèrent. Visage en sang, Raymond se releva en piteux état, les coudes et les genoux couverts de plaies et souffrant de la jambe droite. Il repartit avec rage à la poursuite du petit peloton qui s’était échappé derrière Pingeon, se battant seul avec une volonté farouche, roulant avec une incroyable énergie, pour disputer la plus fantastique course contre la montre de sa carrière.
Il faut dire ici que, dans cette chasse désespérée, Poulidor fut absolument stupéfiant de courage. Et, à assister ainsi à sa tentative de lutter à la fois contre les autres et contre sa douleur – sans oublier sa déception – nous avions le sentiment d’être les témoins d’un effort surhumain, au-delà des vertus sur lesquelles il avait construit sa réussite. Malgré tous les obstacles, il combattait avec sa vaillance, avec son cœur inépuisable de générosité. Les dizaines de milliers de spectateurs, en ce dimanche de fête, peuvent en témoigner aussi : ils virent passer celui qu’ils aiment le plus au monde dans le peloton à la tête du petit groupe de poursuivants, le visage ensanglanté, le corps couvert de plaies. »

La suite de ce texte « Je ne peux pas accepter qu’on attaque un homme blessé », écrit par Michel Clare, dans le hors-série de L’Équipe.