Quelques semaine après avoir sillonné l’abrupte Euskal Herria à l’occasion d’un éprouvant GravelMan, je reviens sur ces terres chevauchant les Pyrénées. Je retrouve le chemin des crêtes, celui qui part vers Hasparren puis je reviens par Itxassou. La bascule entre l’été et l’automne annonce de nouvelles palettes de couleurs. Des verts tenaces moquent des verts jaunissants. Il est bon et non moins surprenant de rouler avec le cuissard et le maillot court en cette mi-octobre.
Je remonte la Nive par la route du Pas de Roland, je suis surpris par les fortes bourrasques qui s’y engouffrent. À Laxia, je bifurque sur une petite route ombragée, j’ai vu un panneau « Mont Arztamendi Alt. 926m ». Moins de 6 kilomètres de montée, une balade !
En réalité, c’est la montée la plus dure que j’ai jamais faite dans le Pays Basque. Première côte de mise en jambe, 250 mètres à 16,5% et ça n’arrête pratiquement pas jusqu’au sommet, passant même les 20% ! J’envisage de stopper à mi-parcours, ça prend des proportions inhabituelles, voire inhumaines, mais la curiosité est plus forte…
Je veux voir comment c’est en haut ! Je mets pied à terre au col de Mehatxe croyant être arrivé mais il me reste les 800 mètres les plus pénibles pour enfin clore définitivement cette ascension entre des antennes hertziennes.
La vue est dégagée, magnifique, on voit la mer, des pics vers l’Est, des prairies, derrière l’Espagne et… personne ! Je me souviens d’une descente de l’Iseran, dans le froid, en direction de Val d’Isère, qui m’avait impressionné mais, dans le cas de l’Artzamendi, inutile de se dire qu’on va atteindre des records de vitesse. Tapis de feuilles mortes, dents serrées et mains sur les cocottes.
Heureux de revoir la Nive.
Le lendemain, le thermomètre indique 25°. Je quitte Espelette tandis que les derniers séniors de la saison s’échappent des autocars par grappes bourdonnantes. À la frontière, la Guardia Civil m’ignore avec mon frêle véhicule sans bagages. Je pars chercher un été disparu sur les routes espagnoles. Je suis heureux de retrouver ce col d’Otsondo comme un vieil ami qui veille sur moi à chaque virage.
L’automne s’est installé, la ville d’Elizondo ne vit que pour ses habitants. Celui qui passe lance un « Holà », je prends un café puis reprends la route. Dans les hameaux isolés, le temps est désormais figé comme ces mottes de terre abandonnées par des tracteurs furtifs. À l’instinct, je bifurque sur la gauche. Une forte bise de Sud remue énergiquement les arbres qui craquent. Le souffle d’Éole s’engouffre dans les branchages orangés et j’entends un son lourd, rythmé… comme un vol de cygnes.
Je suis au cœur du battement d’une saison. Le ballet des feuilles s’éparpille sur la chaussée. Les premiers lichens poussent sur les pierres, les troncs. Je me faufile sur ce bitume entre les coulisses de cette forêt qui donne son avant-dernier spectacle, la montagne honore ma venue en me jetant en pleine figure ses flamboyantes beautés entremêlées.
Le plaisir de rouler m’entraîne plus loin, m’attire. C’est comme une invitation à descendre vers le Sud, la chaleur perdue d’un été passé comme un éclair. À quelques mètres du sommet du Meaka trône un banc qui surplombe discrètement la vallée. Je m’installe. Je respire l’air tiède à plein poumons, les fragrances boisées des paillages naturels de feuillus m’enveloppent. Les châtaignes fraîchement séparées de leurs coques pimentent les senteurs végétales de mousse et d’humus et la rosée du matin, à peine effleurée par les rayons du soleil, accentue les odeurs terreuses.
Entre ombres et lumière, le vélo à mes côtés, je laisse partir mon esprit vers de futures escapades. L’hiver est en chemin.