Poussé, depuis plusieurs mois, par mes pressants compagnons de route vers la nouvelle déclinaison du vélo appelée « gravel », je me suis précipitamment laissé convaincre par deux collègues de bureau, hors champs du clan Gravillon, de me lancer dans une session rocailleuse et poussiéreuse. J’ai tout de même choisi et convaincu du site pour découvrir la discipline. Ce sera La Bicicleta Ravito à Souillac. 

Le Lot est un terrain de jeu idéal pour vagabonder entre l’asphalte et le basalte. Quelques kilomètres d’échauffement sur une départementale vidée de son flot touristique de la saison puis c’est la bifurcation sur un sentier, à la granulométrie inoffensive, un calme plat où nos pneus soulèvent un léger nuage blanc à notre passage. La piste s’élève un peu, terre sèche et pierres se mélangent, buissons et branches d’arbres se rapprochent, c’est moins large, ça sent le « single track » comme dirait un spécialiste.

Nous retrouvons les courbes de la Dordogne qui coule timidement avant le tumulte des pluies automnales. Nous frôlons à leurs pieds les tombants millénaires autrefois immergés, ces parois lissées par de forts courants devenues falaises. Pas un bruit thermique n’émerge de ces gorges boisées, juste un son mécanique de chaîne sur pignons, une douce musique qui se fond avec quelques chants d’oiseaux cachés, inconnus.

Il est agréable de jouer les parallèles terreuses, de s’enfoncer dans les sous-bois tapis de feuilles dissimulant les ornières.

Une nouvelle incursion sur un bitume défraîchi permet de reprendre son souffle avant une tempête de dénivelés positifs et négatifs. Pierres roulantes, ravines de 15 cm, côtes entre 8 et 15 %, c’est la bagarre. Comme d’habitude, je ne veux rien lâcher et ne surtout pas poser un pied à terre, j’en ai vu d’autres. J’arrive sur la crête les poumons battant la chamade dans les oreilles, la bouche grande ouverte… un peu séché, mais j’ai réussi la première difficulté.

Rouler sur les hauteurs érodées et admirer les contreforts vallonnés des Causses du Quercy doit bien faire comprendre qu’il faudra replonger en direction du lit d’une rivière. Le chemin devant nous n’est pas un précipice mais la vitesse me donne l’impression de dévaler sans réel contrôle une piste mouvante. À mi-chemin, je me demande comment je fais pour ne pas être déjà à terre. L’appréhension de la chute et de ses conséquences osseuses engendre une concentration et décuple une attention particulière.

Si boire de la main gauche est aussi contraignant que d’écrire de cette même main, je préfère équilibrer mon squelette pour arriver en bas avec les phalanges opérationnelles. Je suis bien obligé de constater que la pratique du gravel apporte sur un même plateau, la diversité des terrains, la sérénité qui incombe à l’absence de véhicules motorisés et leur lot d’étourderies toujours plus manifestes, des montées d’adrénaline suivies de calmes cardiaques. 

Tout cela servit par l’élégance des lieux traversés, je suis ravi juste au moment où un dernier chemin appelé « La Combe Noire » dévoile une rampe de lancement qui met un coup au moral. Abnégation et tête dans le guidon, je me vide de mauvaises pensées et grimpe sans faiblir… ou à peine ! 1100 mètres plus loin et 75 mètres plus haut, bousculé et chahuté par une piste chaotique, je suis conquis.

J’ai la sensation de revivre ce plaisir très lointain qu’une nature sauvage et maritime m’avait donné, être dans le creux d’une vague et se sentir glisser vers de nouveaux horizons.