Nicolas Fritsch, qui avait déjà impressionné son monde par une participation à la Race Across France en 2020 et au GravelMan Pays Basque en 2021, s’est élancé à la fin du mois d’avril 2022 sur la première édition de la Desertus Bikus, épreuve inédite reliant le Pays Basque au sud de l’Espagne. Il nous raconte aujourd’hui son aventure parmi les déserts au fil d’épisodes qui vont tantôt exalter nos esprits aventureux, tantôt refroidir les élans des cyclistes les plus timorés.

Le récit des étapes #4 et #5 de son périple : La Roda — Guadix

J’expédie mes tranches de pain au coulis de tomate et un traditionnel café au lait au milieu des très matinaux retraités (6h30).

La route est monotone, j’avance machinalement sur une nationale. Je croise quelques participants regroupés avant de m’enfoncer dans la Sierra de Segura. Un vent d’orage, chaud, me pousse comme dans la vallée de La Maurienne au cours de la Race Across France 2020.  Une aide précieuse qui disparaît plus j’approche du barrage El Tranco. Le décor est unique, un lac turquoise qui recueille les eaux glacées de la rivière Guadalquivir, la source n’est pas loin. Comme calfeutré dans les bois, pas un bruit n’arrive à mes oreilles. Les lieux montrent des cafés, des campings et des hôtels encore cadenassés dans leur hivernement. Je suis encerclé par la montagne, le soleil passe derrière les crêtes rocheuses, je dois trouver la sortie, les ombres s’allongent, la température chute. 

Je n’ai pas vu âme qui vive depuis 4 heures. J’apprécie, mais la vue d’un restaurant me ravira autant. Ultime montée. Je découvre, accoudé au muret d’un mirador de pierres, les hauts sommets de cette sierra isolée que peu de concurrents traverseront durant la course. C’était une belle et fastidieuse chevauchée aujourd’hui. Je remets une épaisseur de polaire pour descendre vers Iruela. Changement de décor, les nuages m’attendent, gonflés d’eau. La bravoure a perdu sa dimension comme mon estomac. J’avale une « sopa de picadillo » et pars dormir.

Premiers coups de pédales dans la grisaille. L’horizon vers Pozo Alcon est embrumé. Des nuages noirs plombent l’ambiance. J’hésite, je change de direction, je mets en sourdine mon routeur, je décide d’y aller à la mémoire. Aucun recours, je suis attendu au tournant. J’ai un pressentiment. Ça va être une chevauchée pas ordinaire. À moitié perdu mais confiant, je rejoins le barrage de Negratin. Je quitte l’asphalte pour vérifier si le chemin terreux prévu pour rejoindre le CP3 n’est pas celui qui est sur une parcelle privée… C’est la défaite. Accès interdit. Annoncé par l’organisateur deux jours auparavant, quelques participants avaient déclenché les « hostilités », bravé l’interdit et la Guardia Civil s’en est mêlé. Je décide de ne pas rameuter les gyrophares. Ça me coûtera un détour de 40 kilomètres, un bidon tombé éclaté sur la route, du vent dans la gueule, un faux plat de 15 kilomètres, des insultes pour tout et n’importe quoi.

Je rentre enfin dans le désert du Gorafe, les nuages ne me lâchent pas. J’enlève mes chaussures à cale pour enfiler des baskets. Vu le parcours cyclocross qui se dessine, pas question de rester les pieds bloqués. C’est un dédale de pistes argilo-calcaire, je dois partir d’ici avant que la pluie ne transforme ce terrain en bourbier. Arrivé sur un plateau, je domine tous les canyons. Un dégradé de couleurs ocre fait la séparation avec les nuances de gris-bleu du ciel. La vue à 360° est somptueuse mais surtout orageuse. Je décampe, des éclairs à l’Est, au Nord, à l’Ouest… Une chance, je vais vers le Sud. La pluie ne m’épargne pas et bientôt je ne peux plus avancer. Mes roues ne tournent plus, trop de terre. De la glaise colle à mes semelles, les jambes lourdes, je tente de porter mon vélo, je glisse. En l’espace de 10 minutes, je suis maculé de boue.

Je retrouve le bitume. Je suis obligé de démonter les roues pour nettoyer le vélo et une flaque d’eau providentielle me servira à enlever toute la terre et le sable. Je remonte sur selle et ressemble plus à un maçon qui sort du chantier qu’à un cycliste apprêté. La fin de journée est grise, alimentée de pluies fines ou d’averses orageuses. À 20 kilomètres de Guadix, c’est le déluge. Je m’abrite sans grand succès sous un feuillus vieillissant. Je repars. Au moins, le vélo est débarrassé de toutes traces de terres. Ma chaîne est même lavée de tout lubrifiant. Je me rabats avec facilité sur le premier hôtel de la ville. La douche chaude est appréciable, le restaurant est confortable. À table.