Nos parcours sont émaillés de références. D’expériences que nous avons vécues au guidon et de récits dont nous nous sommes délectés. Nous sommes des cyclistes pluriels, même si notre entité est singulière dans l’ascension des cols les plus exigeants ou dans l’accomplissement des distances les plus importantes. Tout le paradoxe et l’intérêt de ce sport individuel qui se pratique en équipe.

Après nous avoir confiné dans l’univers d’un coureur solitaire, s’épanchant sur ses doutes et partageant son effort dans Le coureur et son ombre, Olivier Haralambon dresse cette fois le portrait de douze cyclistes dont les horizons sont aussi vastes que fédérateurs. Mes coureurs imaginairesdes femmes et des hommes « en selle ou non » que les vents défavorables et les tourments de la vie n’épargnent pas. Mais que la passion rassemble. Des rouleurs reconvertis et des âmes nostalgiques. Des anonymes qui aspirent à une carrière et des gloires qui ont perdu de leur faste. Des athlètes épris de puissance et des champions lassés du décorum.

« Toutes ces années où après les cours il partait s’entraîner, puis toutes ces années où jeune professionnel il s’enfermait chaque soir pour étudier, après la course, dans sa chambre exiguë aux rideaux innocultants, où l’odeur de ses embrocations le disputait à la ténacité du tabac froid. Après le dîner ou le massage, il enfilait ses chaussettes de contention et s’asseyait entre le pied du lit et le mur, le front juste sous l’écran de la télé. Il repoussait la télécommande, le menu écorné, les sachets de thé et la bouilloire pour faire place nette, il ouvrait ses livres et leur cassait le dos pour les immobiliser et pouvoir poser ses coudes de part et d’autre, Stabilo dans la bouche. Les textes, ascensions terminales de ses journées interminables.

Ce méthodisme obsessionnel l’a configuré.
Chaque jour encore, il s’en remet stoïquement à l’analyse de la journée écoulée – de sa performance crucifiée entre abscisse et ordonnée – et à la planification du lendemain. Il déplie chaque soir ce petit ordinateur lisse comme un galet, et y télécharge ses données de puissance. À longueur de mois et d’années, il échange ses fichiers avec son entraîneur comme une sainte s’applique à son journal de piété.

Mais comment imaginer que la puissance de son corps croisse encore – comment s’est-il seulement pu faire qu’elle crût jusqu’à ce point – sans que finissent par se manifester, éruptives, bouillonnantes, enfin nues et inconvertibles, sa cruauté et sa violence ? Le jaillissement bestial, hagard, son appétit de sang, de graisse, et de merde. »

> Mes coureurs imaginaires, Olivier Haralambon, Premier Parallèle, 2019

> Olivier Haralambon, au terme de sa carrière cycliste, s’est accroché à l’écriture, comme on tente de tenir le rythme effréné d’une échappée. Auteur, avec Le Versant féroce de la joie, d’un formidable portrait de Frank Vandenbroucke, il a livré dans un deuxième élan littéraire — Le coureur et son ombre — un propos plus introspectif, laissant le rouleur en découdre seul à seul avec son vélo. Mes coureurs imaginaires, son troisième livre, dresse le portrait de cyclistes que nous avons tous croisé un jour.