Je vous parle d’un temps. D’une époque qui a porté aux nues le cyclisme. Philippe Bordas raconte le quotidien des héros du bitume et des malfrats de la caravane. Tantôt lyrique, tantôt incisif, l’auteur dresse le portrait d’un sport qui fascine autant qu’il révulse. Il passe en revue le peloton ces Forcenés, des légendes (Jacques Anquetil, Fausto Coppi, Bernard Hinault), des besogneux (les frères Pélissier) et des rebelles à l’échappée établie (Roger De Vlaeminck). Il offre une légitimité à une discipline noble dont l’horizon tend parfois à se charger des nuages de la suspicion.

Extrait :
« La montagne est le lieu des rhétoriques faibles. Les figures pâlissent, les effets de style s’amenuisent. C’est l’endroit d’une vérité nue. J’admire l’éloquence des rouleurs, Anquetil dans ses œuvres ferroviaires expresses, les déboulés de Maertens si semblables aux prédations dans le ralenti des films animaliers. Les grimpeurs sont les seuls cyclistes qui satisfassent philosophiquement aux conditions de la proposition vraie. Les autres sont plus ou moins des hommes d’enveloppe et des rhétoriqueurs que démasquent les premières pentes de l’Izoard.

Les rouleurs de plaine propagent une confusion ; ils frappent du bec comme les sophistes, le dernier qui parle a raison. Un boyau fait justice et baste, le sprint s’achève en cacophonie. Le phrasé des grimpeurs s’établit sur des fondations : ils forment dans le peloton aux cents langages un souvenir d’avant Babel.

Le grimpeur surgit d’une claire définition. »

 > Forcenés, Philippe Bordas, Folio, 2013

> Philippe Bordas, né à Sarcelles en 1961, est un ancien chroniqueur spécialisé dans le cyclisme du quotidien sportif L’Équipe. Écrivain et photographe de renom, sa notoriété le précède également sur l’anneau bitumé longeant l’hippodrome de Longchamps où il est connu comme le « Baron noir ».