L’Échappée Libre est un recueil de photos capturées sur le Tour de France par Gérard Rondeau. Ce livre rassemble les clichés réalisés sur la commande d’Amaury Sport Organisation, l’organisateur de l’épreuve, « dans les entrailles » de l’édition 2001 de la Grande Boucle. Un reportage qui replonge dans une époque trouble du cyclisme, lorsque certains coureurs comme Lance Armstrong ou Jan Ullrich régnaient en maître sur le peloton et suscitaient tant l’admiration que le mépris. Une époque durant laquelle la tête, faute d’être haute, était dépourvue de casque et laissait l’émotion s’exprimer sous la gapette.

Les 190 pages de cet ouvrage sont autant d’instants passés dans les coulisses de cette course d’un autre temps, encore ancrée dans l’autre siècle. Traitées en noir et blanc, les photos mettent en scène les coureurs en selle et dans leur obscure intimité, les spectateurs en liesse, les anciennes gloires en représentation et les organisateurs en faillite morale.

Outre quelques légendes laconiques et citations littéraires, le livre enserre également une préface titrée « L’OPÉRA, LA CORRIDA, LE TOUR », signée du philosophe Michel Onfray qui, de son propre aveu, suit le Tour depuis peu. Il a commencé à s’intéresser à la course en 1999 tandis que sa compagne se battait contre un cancer.

Sans doute a-t-il vu à l’époque dans le coureur américain venant de se défaire de la maladie un espoir et il a développé assurément une préférence pour le Texan : « Armstrong est devenu mon faible, dans la mesure où l’on peut avoir un préféré, un genre de prétexte à applaudir, à respecter, à admirer dans son registre... ». Et de continuer son propos en utilisant des termes qui résonnent étrangement aujourd’hui tant la disgrâce de l’Américain ne semble pas devoir être levée.

Et puis j’aime bien Armstrong, toujours. D’abord, parce qu’il ne flatte pas les journalistes, ensuite parce qu’il n’en fait qu’à sa tête, puis parce qu’il gagne sans fioritures, qu’il n’est pas arrogant ses jours de prouesses, qu’il ne moufte pas quand, stratège, il donne l’impression d’être en méforme, alors qu’il attend le bon moment — kaïros des philosophes grecs — pour laisser tout le monde sur place. J’aime qu’au sommet d’un col — je ne sais plus ou pas lequel — un jour de victoire d’étape, il lève les bras et fasse un geste vers le ciel en souvenir d’un ami mort sur le Tour, je ne sais pas non plus lequel, mais j’aime sa fidélité, j’aime qu’il se souvienne des siens, de son ami, quand tout le requiert pour qu’en pareil moment il ne pense qu’à lui.
J’aime aussi qu’il marque l’Histoire du Tour en inventant une nouvelle façon de gagner. Enfin, il me semble… Là où d’aucuns courent avec les jambes et rien d’autre, Armstrong, taciturne, sûr de lui, professionnel, court avec des médecins, des diététiciens, des informaticiens, des masseurs, des kinésithérapeutes, des stratèges, des spécialistes, des statisticiens, des tacticiens, des psychologues. À sa manière, il invente une nouvelle ère, il ajoute Clausewitz — pauvre Ullrich ! — au programme de lecture de quelques uns trop familiers de bandes dessinées. Corps nouveau, entraînement nouveau, souffrance annuelle dissimulée en élégance les jours de Tour — les trois ou quatre où l’épreuve se gagne, avec la tête, plus seulement avec les jambes —, Armstrong sort le cyclisme du ghetto des décérébrés pour le faire entrer dans le temps des techniciens et des intelligences pointues.

> L’Échappée Libre, Gérard Rondeau, Éditions du Seuil, 2001
> Gérard Rondeau était photographe. Collaborant au contenu iconographique du journal Le Monde pendant 20 ans, il a réalisé de très nombreux portraits de figures de l’art et de la littérature. Privilégiant la photographie en noir et blanc, il est souvent parti en quête de nouveaux horizons, croisant en chemin des lieux, des conflits ou des beautés à immortaliser. Il est décédé en 2016 à l’âge de 63 ans.