Avoir la chance d’accéder au meilleur de la presse cycliste et partager un extrait qui a retenu l’attention : telle est l’intention de cette rubrique de Gravillon baptisée « Morceau choisi ».

Nouvel invité de cette série d’articles qui rend hommage à l’écrit, à l’encre et au papier : le magazine 200 dans sa déclinaison hiver 2019-20.

Le mardi 19 novembre 2019, une France éprise de légende et de cyclisme a rendu un dernier hommage à « Poupou ». À Saint-Léonard-de-Noblat, sur les terres du champion, parmi les figures du peloton et des anonymes en nombre. Un dernier voyage auquel Alain Puiseux, du magazine 200, a pris part avec émotion, ralliant le petit village limousin à vélo. Une ultime échappée en compagnie de Raymond Poulidor.

« Parfois on cherche un peu son chagrin, et l’on comprend que l’on préfère de loin se souvenir des belles choses. On voudrait se recueillir, mais ça dérape. C’est la petite malice du cœur. J’avais les pieds froids sur le pavé, et des habits cousus de sueur glacée. Nous étions deux ou trois cents dehors, surtout des gens du pays, et il faisait un froid humide, un froid de paysans. L’église était pleine et j’étais aussi bien sur le parvis.
Sur l’écran géant suspendu à l’extérieur, des gros plans glissaient sur les premiers rangs de l’assistance. L’état-major du Tour. Et puis Thévenet. Et puis Hinault, qui porte le cercueil. Et puis d’autres qu’on ne reconnaît pas tout de suite, dont Ronan Pensec — une version grise et ronde de ses héros. Ce ne sont plus « Les Trois Mousquetaires », on s’y attendait, mais ce n’est même plus « Vingt Ans après », c’est « Le Vicomte de Bragelonne ». Athos a du ventre et des cheveux blancs.
Qu’est-ce que tu crois, qu’ils t’attendent en maillot Mercier sur l’étagère, et pour l’éternité ?
Dans les discours, comme dans les sourires, dehors, il y a plus de gratitude que de tristesse.
Sur le parvis de la collégiale, le vicomte de Bragelonne s’appelle Mathieu Van der Poel. Le petit-fils de Raymond Poulidor est aussi champion du monde de cyclo-cross. Une grande lame, effilée comme les coureurs d’aujourd’hui, une version 3.0 de son grand-père qu’il rendait si fier. Il est triste et beau dans son manteau bleu. Poulidor lui avait des épaules de manieur de pioche, ou de faux, se balançait sur son vélo comme un ours, avec un sourire de conquérant.
Robert ne dit pas « Poulidor », il dit « Raymond ».
C’est lui qui est venu me tirer par la manche.
Ça réchauffe.
« Vous ne sériez pas 200 ?
— Si.
— Il me semblait bien. »

La suite de ce texte « L’enterrement de Raymond Poulidor », écrit par Alain Puiseux, dans le numéro 23 de 200.