Avoir la chance d’accéder au meilleur de la presse cycliste et partager un extrait qui a retenu l’attention : telle est l’intention de cette rubrique de Gravillon baptisée « Morceau choisi ».

Nouvel invité de cette série d’articles qui rend hommage à l’écrit, à l’encre et au papier : le magazine 200 dans sa déclinaison printemps 2023.

Au sortir de l’hiver, Alain Servan-Puiseux et le magazine 200 nous invitent à une contemplation cycliste sur les (vélo)routes des Ardennes, la région natale d’Arthur Rimbaud. Une chevauchée dans le « pays des grâces », ce pays meurtri par trois conflits et occupations, et qui révèle, lorsque le brouillard se dissipe, des villages avenants et le sourire des gens.

Dans son ventre
Je suis reparti seul au matin, vers Mouzon. J’ai affronté les côtes d’Argonne, ce pays au nom de gaz, et qui le rend presque volatil. Peut-être, l’un des pays les plus secrets et mélancoliques de France. On s’y bat en 1918. En mai 1940, des équipages de chars français bataillent comme des chiens, pendant dix jours, pour prendre et reprendre Stonne, retarder l’armée allemande de Guderian. En haut de la butte un char, deux plaques, le vent d’hiver. Comme d’autres, le village a été aplati, reconstruit. Par prudence, il est sans charme.
Le charme, il faut aller le chercher ailleurs.
J’ai baissé la tête et roulé vers l’est. Au Chesne, l’entrée de la deuxième véloroute du département. La « voie verte Sud-Ardennes » n’est pas tout à fait terminée. Elle promet 110 km de chemin de halage transformé, sera ouverte entièrement cet été, c’est promis. Elle se raccorde à la voie-verte-tout-court à Pont-à-Bar. J’ai descendu une volée d’écluses, coupé après Attigny pour rejoindre Amagne, puis le musée Guerre et Paix en Ardennes de Novion-Porcien. Une soucoupe en béton qui aurait atterri en pleine campagne.
Das son ventre immense, trois guerres, des tranchées, des chars ; progressivement, d’une vitrine à l’autre, tous les moyens de tuer le plus vite et le plus possible.
Au mur, des photos et le compte des maisons, fabriques et vie aplaties. Au bar, trois locaux venus chercher l’illusion d’une bière, qu’on ne sert pas. Quand nous sommes sortis, la pluie, la nuit.

La suite de ce texte « Over the Rimbaud », écrit par Alain Servan-Puiseux, dans le numéro 36 de 200.