Nicolas Fritsch, qui avait déjà impressionné son monde par une participation à la Race Across France en 2020 et au GravelMan Pays Basque en 2021, s’est élancé à la fin du mois d’avril 2022 sur la première édition de la Desertus Bikus, épreuve inédite reliant le Pays Basque au sud de l’Espagne. Il nous raconte aujourd’hui son aventure parmi les déserts au fil d’épisodes qui vont tantôt exalter nos esprits aventureux, tantôt refroidir les élans des cyclistes les plus timorés.

Le récit de l’étape #1 de son périple : Anglet — Tudela

Le mot « désert » me crée un fourmillement cérébral indéfinissable. Et pourtant, mes nombreux périples terrestres et maritimes m’ont rarement permis d’en apprécier les secrets. À chaque fois, j’imagine l’hostilité, l’aridité, l’isolement… le silence. Ces espaces si faiblement emplis de bruits anthropiques où toute vie est cachée dans un univers géologique.

Le premier désert que j’ai, très modestement, arpenté est celui d’Atacama. C’est, d’ailleurs, le seul qui me faisait « rêver ». En altitude, asséché par l’action du courant de Humboldt sur l’Océan Pacifique et dominé par la Cordillère des Andes. J’ai loué un VTT poussiéreux et grinçant, et je suis parti me perdre à 2500 mètres d’altitude dans les méandres des pistes rocailleuses. Un voyage initiatique commençait. Vingt années ont passé, je ne suis jamais retourné au Chili, j’y ai laissé une part de mon cœur et rapporté un goût d’inachevé. Alors je suis tombé sur ce raid équivoque, le « Desertus Bikus ». Mais quel olibrius peut penser à un nom pareil ?

21h. Derrière un hangar d’une zone industrielle d’Anglet s’attroupe au fil des minutes divers cyclistes plus ou moins chaudement vêtus accompagnés de leurs machines harnachées de bagages pour un départ à 00h01. Plein de visages, des sourires, des airs concentrés, des blagues, des voix indicibles, d’autres plus fortes agrémentées du crépitement d‘un feu de camp. Et telle une petite armée mexicaine timorée, la troupe se lance dans la nuit agitant ses faisceaux lumineux. Pas de clairon d’assaut mais une symphonie de bip bip de routeurs décalés retentit dans l’élan du départ.

Je connais le chemin jusqu’à Pampelune. Un coup de vent imprévu accompagné d’une pluie battante me pousse, engourdi de froid, dans une aubette. Grelottant, je peine à me réchauffer avec mon fin drap de coton humide. À ma grande surprise, je somnole par épisodes, réveillé par mes tremblements. Je reprends la route, le moral entamé. Le jour se lève et dessine peu à peu un paysage gris. Une station-service pour un rapide chocolat chaud. Comme un taureau dont l’orgueil est piqué, je décide de ne m’arrêter qu’une fois sorti du désert de Las Bardenas Reales.

Sans déjeuner, je pose enfin devant son symbole géologique, Castildetierra, le premier point de passage obligatoire (CP1)… On dirait le couvercle d’un plat à tajine. Les orages rôdent et je dégage au plus vite. Ce lieu est magnifique mais j’en ai marre d’être plus humide qu’une éponge dans un évier. Touché, mouillé. La nature l’emporte toujours. Un arbre comme abri, une poignée de fruits secs ingurgités et 20 kilomètres supplémentaires sous une énième averse.

Je traverse l’Ebre et rentre dans Tudela. Sans batailler, je prends un hôtel attenant à la « Plaza de los Fueros ». Je transforme ma chambre en buanderie-séchoir pour la nuit. Sans forces pour descendre dîner, je m’écroule. Somnolant, je bondis sur le lit. Un groupe de musique fait des balances sur la place, une fête commence puis tout s’arrête. La nuit peut commencer. Second sursaut. 22h, je suis maudit, j’ai l’impression d’avoir les amplis au pied du lit. Première chanson… puis 2… puis 3, et comme le comptage de moutons, je plonge dans un sommeil profond.