Triplette pyrénéenne © DR
La curiosité était trop forte. Appâtés par les envolées des commentateurs, rivalisant de superlatifs pour qualifier la 19e étape du Tour de France 2018, nous avons entrepris par une caniculaire journée d’été l’ascension du col des Bordères, prélude harassant aux montées du Soulor et d’Aubisque. Une « triplette » pyrénéenne qui est venu s’ajouter à nos passages réguliers dans cette région de prestige cycliste, après une première envolée en 2015 et une traversée Over The Crests formidable en 2017.
Les images aperçues à la télévision au mois de juillet nous avaient laissé présager un peu d’ombre dans ces Bordères. L’ombre ne suffit pourtant pas à réconforter quand les dénivelés dépassent fréquemment les 10% et qu’aucune couronne, culminant pourtant à 30 dents, n’est plus disponible sur la cassette. L’effort est court mais il est violent. Les éclats de voix de Laurent Jalabert, perché dans sa cabine de commentateur, et de Thomas Vœckler, juché sur sa moto au fil du peloton, nous avaient pourtant mis en garde. Bordères est effectivement un juge de paix.
Et comme si cela ne suffisait pas, au terme d’une descente immanquablement rapide, les premiers contreforts du Soulor se sont dressés sous le soleil ardent. Le bitume, remis à neuf pour le passage récent du Tour, fond sous les roues des grimpeurs dégoulinant de sueur. La route, libérée pour la matinée par la volonté des autorités régionales, s’offrent à cette file, les camping-cars et les automobilistes locaux piaffant d’impatience derrière les barrières placées aux carrefours.
Le Soulor n’est qu’une entrée en matière. Notre hâte reste vive de retrouver le fantastique cirque du Litor, la veine viroleuse menant finalement à l’Aubisque. Adossé à la montagne, ce creuset semble avoir été griffé et taillé par la main de milliers d’hommes. Les tunnels apportent une fraîcheur éphémère et plonge dans une pénombre qui fascine. On se surprend à se pâmer. Le moindre virage interpelle. La nature, en contrebas, hypnotise.
Tout est prétexte à se retourner et à gesticuler sur le vélo. Une fantaisie permise, l’absence de véhicules sur ce chemin étroit rendant l’ascension plus sûre. Seuls les moutons, suivant Panurge comme un seul ovidé, sont à craindre. Ils prennent leurs aises. Il traversent et campent en milieu de chaussée. Sursautant à peine au bruit du patin venant s’écraser sur la jante. Et aux éclats de voix les sommant de déguerpir.
Laineux qu’ils sont. Sans doute engoncés dans une toison trop chaude pour la saison, ils restent immobiles. Ils semblent vouloir imiter les vélos géants plantés au sommet d’Aubisque, alignés et imperturbables. Hermétiques à l’agitation des chevaux et des touristes qui s’amoncèlent au sommet.
Derrière nous, les derniers héros de la pente se hissent péniblement. Il y a toujours un réconfort — secrète jubilation — à voir les autres souffrir davantage. Être moins prompts à franchir le col. Pourtant, un réflexe, ultime once de fraternité, nous pousse à les encourager. Sans doute parce qu’un jour la défaillance nous frappera à notre tour. Que le bidon sera vide. Et la coupe sera pleine.
L’heure est proche de rouvrir la route aux fauves. Un troupeau de maisons roulantes, de motos pétaradantes et de diesels odorants se pressent sur la ligne. Aucun ne prétend au classement de la montagne. Mais tous grèvent notre plaisir dans la descente. Le frein moteur est décidément un outrage à la délectation d’une courbe passée à pleine allure. À une gomme qui file sur quelques millimètres pour nous rendre à la vallée.
La triplette pyrénéenne en images.
La triplette pyrénéenne en relief.